(Ottawa) L’expansion de l’oléoduc Trans Mountain coûtera 70 % de plus que prévu il y a trois ans, pour atteindre 12,6 milliards, par rapport à une estimation de 7,4 milliards.

Le président et chef de la direction de Trans Mountain, Ian Anderson, a indiqué vendredi que l’entreprise détenue par le gouvernement fédéral avait dépensé 2,5 milliards à ce jour. Cette somme comprend la gestion des « répercussions des retards et du processus de réglementation supplémentaire qui en a découlé », indique Trans Mountain dans un communiqué.

L’entreprise prévoit dépenser 8,4 milliards de plus pour terminer le projet, ainsi que 1,7 milliard en frais financiers. M. Anderson recommande aussi qu’Ottawa, en tant que propriétaire et prêteur, mette de côté « une réserve supplémentaire de 600 millions pour les incidences financières qui échappent au contrôle de Trans Mountain ».

L’entreprise estime maintenant que le projet devrait être en service d’ici décembre 2022.

L’estimation de 7,4 milliards avait été avancée en 2017 par l’ancien propriétaire, Kinder Morgan, de Houston, qui a vendu l’oléoduc existant et le projet d’expansion au gouvernement fédéral en 2018 pour la somme de 4,5 milliards.

Mais le ministre des Finances, Bill Morneau, a soutenu vendredi que le projet actuel d’expansion « est très différent de celui dont Kinder Morgan avait chiffré les coûts la dernière fois, en 2017 ».

« Des améliorations apportées au chapitre de la sécurité et de la conception ont permis d’atteindre une norme plus élevée de protection de l’environnement », indique-t-il dans un communiqué. « Il s’agit maintenant d’un projet amélioré, qui progresse correctement. »

« C’était d’un ridicule consommé »

Les opposants ont bien sûr soulevé des questions environnementales, mais ils ont également avancé que le projet serait un gouffre financier, puisque les marchés asiatiques ne sont pas assurés.

L’opposition conservatrice, qui s’était opposée au rachat de Trans Mountain en 2018, a déploré une nouvelle fois, vendredi, cette « nationalisation » par les libéraux. « Tout était en place avec le secteur privé, qui n’a jamais demandé d’être nationalisé, a indiqué le député Gérard Deltell, à son arrivée aux Communes avant la période de questions. Maintenant, ce sont les contribuables qui sont pris avec la patate chaude. »

« Les libéraux ont décidé de prendre 4,5 milliards de l’argent des contribuables puis d’envoyer ça à Houston ! C’était d’un ridicule consommé », a estimé M. Deltell, qui admet toutefois que le gouvernement n’a pas le choix, maintenant, d’aller de l’avant avec le projet.

Plus tard à la période de questions, vendredi matin, la députée bloquiste Christine Normandin a déploré que les Canadiens aient été « détroussés de 18 milliards pour polluer la planète » avec ce projet. « Est-ce que c’est ça les beaux efforts du gouvernement pour atteindre la carboneutralité en 2050 ? »

La ministre associée des Finances, Mona Fortier, a répondu pour le gouvernement que ce projet constitue « un investissement dans l’avenir du Canada » et une façon de diversifier les marchés pour les ressources naturelles. « La construction du projet est en cours et des milliers de Canadiens travaillent dur en Alberta et en Colombie-Britannique. Chaque dollar que le gouvernement fédéral gagne grâce au projet sera investi dans la transition énergétique propre du Canada. »

De son côté, le député néo-démocrate Alexandre Boulerice a vivement sursauté devant cette nouvelle estimation.

« On savait que c’était déjà irresponsable face à la crise climatique ; là c’est clairement irresponsable d’un point de vue financier, a-t-il lancé. Ça ne fait pas de sens ! On ne peut pas investir 16 milliards dans le pétrole le plus polluant au monde et qui ne sera plus vendu dans 20 ans. Prenons cet argent pour créer, tout de suite, des bons emplois dans les prairies dans les énergies renouvelables. »

Ouvrir de nouveaux marchés

Le député libéral de Louis-Hébert, Joël Lightbound, a estimé de son côté que le projet demeure viable économiquement, à court, moyen et long termes, « en fonction de la perte qu’on a en vendant nos ressources à rabais » aux États-Unis. « On perd 15 milliards $ par année, grosso modo, en vendant nos ressources à rabais aux Américains », a-t-il soutenu avant la période de questions.

Le responsable de la campagne Climat-Énergie au sein du groupe écologiste Greenpeace, Patrick Bonin le contredit.

« Cette explosion du coût de l’expansion de Trans Mountain a de quoi effrayer autant les environnementalistes que les conservateurs fiscaux. Le directeur parlementaire du budget a conclu que des dépassements de coûts, même modestes, rendraient ce projet déficitaire et ferait en sorte que les contribuables seraient à la merci des dépassements de coûts », a-t-il déclaré par voie de communiqué.

Dans son communiqué, le ministre Morneau rappelait aussi qu’« au cours des dernières années, l’Alberta et la Saskatchewan ont été durement touchées par les pressions sur les prix du pétrole, et il est important que nous fassions les investissements nécessaires pour ouvrir de nouveaux marchés ».

Le projet d’expansion de l’oléoduc permettrait de tripler la capacité du pipeline existant qui achemine le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta vers un terminal maritime à Burnaby, près de Vancouver, en Colombie-Britannique.

Les opposants à l’expansion se sont engagés à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour stopper le projet, malgré l’échec d’une contestation judiciaire devant la Cour d’appel fédérale plus tôt cette semaine. Les quatre Premières Nations qui ont perdu cette contestation mardi ont 60 jours pour demander l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada.