(Ottawa) L’agence nationale d’espionnage électronique a surveillé un citoyen canadien pendant cinq ans, à l’encontre de la loi, en raison d’une série d’erreurs internes, conclut un rapport.

Le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) surveille un large éventail de communications étrangères, y compris des appels téléphoniques et des courriels, à la recherche de renseignements d’intérêt pour le Canada. Mais le CST ne peut pas, en vertu de la loi, espionner les activités des Canadiens, qu’ils soient au pays ou à l’étranger. L’agence doit aussi tenter de protéger leur vie privée si elle utilise ou conserve des informations interceptées.

Le commissaire du CST, Jean-Pierre Plouffe, chargé de surveiller les activités de l’agence, a signalé une violation de la vie privée qui l’a incité à effectuer un examen approfondi. Dans son rapport annuel 2018-2019, récemment déposé au Parlement, M. Plouffe souligne qu’« un ressortissant étranger dont le CST a déterminé qu’il avait peut-être la citoyenneté canadienne en 2010 » est pourtant demeuré la cible du CST jusqu’en 2015.

En vertu du rôle que joue le Canada dans l’alliance du renseignement « Five Eyes », le CST travaille en étroite collaboration avec les services d’espionnage des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Or, c’est l’une de ces agences de renseignement, non identifiée dans le rapport, qui a attiré l’attention du CST en 2018 « sur le fait que la question n’avait pas été totalement réglée en 2010, lorsqu’il a été découvert que la personne était peut-être canadienne ».

Le CST a ensuite « obtenu les renseignements nécessaires pour confirmer que la personne qu’il ciblait était effectivement canadienne » et l’incident a été « pleinement atténué en 2018 », indique le rapport.

M. Plouffe convient que le CST protège habituellement la vie privée des personnes qui sont identifiées comme « possiblement canadiennes » de la même manière que celles dont la citoyenneté est confirmée. Dans ce cas-ci, il conclut que « les analystes du CST n’ont pas sciemment pris le Canadien pour cible pendant que son statut n’était pas confirmé ». C’est plutôt « une série de facteurs » qui ont fait en sorte que le CST « n’a pas bien protégé la vie privée du Canadien en 2010 ».

Parmi ces facteurs, le commissaire note que l’incident a été découvert pendant un jour férié, que des équipes de ciblage distinctes responsables d’aspects techniques différents de la collecte n’ont pas bien coordonné leur intervention à la suite de l’incident, et que le CST n’a pas indiqué dans sa base de données que la cible était peut-être un Canadien.

M. Plouffe conclut que le CST s’est conformé à la loi, mais que l’incident a mis en évidence des lacunes dans la gestion de l’information, les procédures de protection de la vie privée, et « ses lignes directrices en ce qui a trait aux cibles susceptibles d’être canadiennes, mais dont le statut n’est pas confirmé ».

Le commissaire croit que le risque qu’une telle erreur se reproduise est faible étant donné que le CST a pris plusieurs mesures pour éviter maintenant de cibler par inadvertance des Canadiens, y compris l’adoption de nouveaux outils et procédures de gestion de l’information. M. Plouffe est donc satisfait de la réponse du CST à l’incident et n’a formulé aucune recommandation dans son rapport.

Cet incident « est certainement la preuve qu’une surveillance constante doit être maintenue » sur l’évolution des pratiques de l’agence, estime Bill Robinson, chercheur au « Citizen Lab » à l’École Munk des affaires mondiales et des politiques publiques de l’Université de Toronto. « C’est inquiétant de voir ces affaires surgir année après année. » Les mesures correctives du service d’espionnage sont sans aucun doute sincères, mais elles ne signifient pas que le même genre d’incident ne se reproduira plus, croit le professeur Robinson, qui surveille de près le CST.

Depuis la rédaction du rapport annuel du commissaire Plouffe, les responsabilités de « chien de garde » du Bureau du commissaire du CST sont maintenant assumées par une nouvelle agence, l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, doté d’un mandat plus large. L’Office remplace aussi le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, ainsi que les fonctions de surveillance et d’enquête sur les plaintes liées à la sécurité nationale de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes.