(Ottawa) Une majorité de Canadiens croient que le meurtre et la disparition d’un grand nombre de femmes autochtones représentent un génocide, laisse entendre un récent sondage.

Selon les résultats de ce sondage mené par la firme Léger, 53 % des répondants approuvent les conclusions de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées selon lesquelles cette tragédie est un génocide. Trente-4 % sont d’avis contraire.

Mais les répondants ne s’entendent guère sur les causes de ce génocide : 17 % d’entre eux l’attribuent au colonialisme et au vol du territoire autochtone par les colons européens, 15 % en accusent les pensionnats gérés par l’Église et 15 % l’imputent à la destruction de l’identité culturelle et à l’assimilation forcée. Seulement 3 % l’ont relié au racisme.

Près d’un répondant sur trois (32 %) croit que les responsables de ce génocide sont les Britanniques et les Français. Un quart l’associe aux Églises catholique et protestante et 21 % estiment que c’est de la faute de tous les Canadiens. Un dernier 1 % jette le blâme au gouvernement.

Le sondage a été mené du 7 au 10 juin auprès de 1528 Canadiens choisis aléatoirement à partir du panel d’internautes de Léger pour l’Association d’études canadiennes. Selon les experts en sondage, les enquêtes en ligne ne peuvent se voir attribuer une marge d’erreur, car leur échantillon n’est pas probabiliste.

Le président de l’Association, Jack Jedwab, souligne que les résultats de ce sondage semblent indiquer que le rapport de l’ENFFADA a créé de la confusion autour de la signification du mot « génocide ».

M. Jedwab croit que ce sondage apporte de la crédibilité à ceux qui ont déploré que les commissaires aient dilué le sens de ce mot.

« Beaucoup de gens m’apparaissent confus dans ce sondage, même si une majorité a reconnu l’existence d’un génocide. Mais quelle en a été la nature ? Qui l’a commis ? Qu’est-ce que cela signifie ? S’agit-il des pensionnats autochtones ? S’agit-il de l’expropriation des terres ? On est en train de transformer le mot’génocide’en une sorte de fourre-tout pour beaucoup de Canadiens », dit-il.

Une autre donnée du sondage semble contradictoire et met en lumière les préoccupations de M. Jedwab. Ainsi, 71 % des répondants se sont dits fiers de l’histoire canadienne, même si 53 % approuvaient la conclusion de l’ENFFADA.

« Il semble y avoir une sorte de fossé ici, un décalage sur la gravité d’un génocide », ajoute-t-il.

Les répondants avaient été invités à décrire une phrase ce que c’était, selon eux, un génocide. Environ 30 % d’entre eux ont proposé diverses variantes sur l’extermination ou le massacre de masse d’un groupe spécifique de personnes. Quatre % ont mentionné la Shoah, deux autres % le Rwanda. Deux % ont aussi parlé spécifiquement du traitement des peuples autochtones.

Dans un rapport supplémentaire, les commissaires avaient expliqué les raisons pour lesquelles ils justifiaient l’emploi du mot « génocide » pour décrire les récits des femmes autochtones disparues ou assassinées. Selon eux, ce mot ne pouvait pas être strictement limité à l’assassinat de masse d’un groupe spécifique, comme l’extermination par l’État allemand nazi de cinq à six millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Il est temps de regarder la réalité en face : les politiques, actions et inactions coloniales passées et actuelles du Canada à l’égard des peuples autochtones constituent un génocide, lequel, conformément au droit liant le Canada, exige l’imputabilité », peut-on lire dans le rapport.

Plus loin, les commissaires ajoutent : « la nature insidieuse et graduelle de la disparition des Autochtones ainsi que l’absence de politiques nationales uniformes instituées par un individu totalitaire sont les éléments qui distinguent le génocide colonial de notre compréhension traditionnelle de ce qui constitue un génocide. Malheureusement, ces facteurs distinctifs font en sorte que la conscience canadienne considère que les politiques coloniales du Canada sont certes racistes et mauvaises, mais ne les reconnaît pas comme étant génocidaires, ni en cours. »