(Toronto) Les Canadiens sont de plus en plus sceptiques face aux nouvelles qu’ils consomment et ils ont du mal à distinguer une information factuelle d’une fausse nouvelle ou de la simple propagande, suggère un sondage.

L’enquête, réalisée auprès de plus de 2300 Canadiens pour le compte de la Fondation pour le journalisme canadien, révèle que le nombre de répondants qui remettent en question la validité des reportages a augmenté de 10 % au cours de la dernière année — ce qui se traduit par une grande méfiance à l’égard des reportages, mais aussi des politiciens.

Le sondage révèle que 40 % des personnes interrogées ont déclaré avoir du mal à faire la part des choses entre une information factuelle et une fausse nouvelle ; 53 % sont déjà tombés par ailleurs sur un « faux reportage », au service d’une cause ou d’un produit, qui se faisait passer pour un reportage journalistique.

Natalie Turvey, présidente de la Fondation pour le journalisme canadien, soutient que les conclusions de cette étude ont de graves conséquences à l’approche des élections fédérales prévues pour octobre. « Pour être partie prenante de notre démocratie, les citoyens doivent avoir accès à une information de qualité », a-t-elle estimé. Mme Turvey a annoncé jeudi que la Fondation utilisera une nouvelle subvention d’un million de dollars de Google pour développer des outils qui devraient permettre aux Canadiens de mieux séparer le bon grain de l’ivraie dans les médias numériques.

Le sondage a été mené en ligne du 3 au 8 avril par la firme Earnscliffe Strategy Group auprès de plus de 2300 Canadiens. Les experts en recherche et en méthodologie estiment qu’il est impossible d’attribuer une marge d’erreur à un sondage réalisé en ligne, puisque la méthode d’échantillonnage est non probabiliste.

Le coup de sonde a permis d’évaluer les habitudes de consommation des nouvelles par groupes d’âge. Or, on constate d’abord que les répondants de tous les groupes d’âge comptaient de plus en plus sur les médias sociaux pour s’informer. Bien que 71 % des personnes interrogées en 2016 disaient s’informer par les médias traditionnels — presse écrite, télévision et leurs sites internet affiliés —, ce pourcentage est tombé à 62 % cette année. Le nombre de personnes qui se tournent vers les médias sociaux pour s’informer est passé de 54 à 58 %.

Selon le sondage, peu importe l’endroit où il va chercher ses nouvelles, le lecteur est de moins en moins certain de savoir comment traiter l’information qu’il reçoit : 85 % des personnes interrogées cette année ont déclaré que leurs préoccupations sur l’exactitude des nouvelles ne leur permettaient pas de déterminer à quels politiciens se fier, contre 56 % l’année précédente.

Les répondants ont également de moins en moins confiance dans la capacité des Canadiens à faire la distinction entre le journalisme factuel et les rumeurs ou les mensonges.

Pas qu’au Canada

Ces tendances mises en évidence dans le sondage ne sont pas propres au Canada, selon l’UNESCO, qui souligne vendredi la Journée mondiale de la liberté de la presse. L’événement a pour thème cette année « Journalisme et élections en temps de désinformation : le rôle des médias dans les élections et la démocratie ».

L’UNESCO déplore que la méfiance à l’égard des médias et les attaques contre la crédibilité des journalistes soient observées dans le monde entier. Résultat : la conversation politique est de plus en plus polarisée et elle menace l’intégrité du processus démocratique.

« À l’heure de la multiplication de discours de défiance et de délégitimation de la presse et du travail journalistique, il est primordial que la liberté d’opinion soit garantie par l’échange libre des idées et des informations fondées sur des vérités factuelles », écrit Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO.

« L’impunité des crimes commis contre les journalistes est une menace qui touche toutes nos sociétés. Cette menace nous impose une vigilance sans cesse renouvelée, soutient-elle. Nous devons agir ensemble pour protéger la liberté d’expression et la sécurité des journalistes. »

L’UNESCO indique que la Journée mondiale de la liberté de la presse traiterait notamment cette année de la concurrence entre journalistes et informations trompeuses et de l’application des lois électorales aux entreprises de l’internet.

« Cyberingérence »

Au Canada, des observateurs estiment qu’il faut en faire davantage.

Le mois dernier, un rapport de l’agence nationale de cyberespionnage prévenait le gouvernement canadien que les électeurs seraient « très probablement » victimes d’une ingérence étrangère en ligne lors du scrutin fédéral d’octobre. Le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) du Canada estime que l’an dernier, des cybermenaces ont ciblé la moitié des démocraties qui tenaient des élections nationales — trois fois plus qu’en 2015 ; le CST s’attend à ce que cette tendance à la hausse se poursuive.

Shawn McCarthy, président du Comité canadien pour la liberté de la presse dans le monde, rappelle qu’une nouvelle loi fédérale, qui doit entrer en vigueur le mois prochain, obligera les plateformes en ligne à tenir un registre numérique de toutes les annonces politiques publiées pendant la campagne électorale.

Mais Élections Canada a fait remarquer que le registre ne s’appliquerait qu’aux annonces payées : il ne couvrirait pas les autres moyens de communication tels que les textes, les courriels ou autres messages privés.

M. McCarthy admet que les gouvernements doivent trouver un juste équilibre entre liberté d’expression et processus démocratique, sans tomber dans la censure. En ce sens, les journalistes doivent, selon lui, jouer un rôle plus actif dans la lutte contre la désinformation, en signalant les inexactitudes et en mettant en contexte la nouvelle.

Le journaliste au Globe and Mail met aussi en garde contre l’exploitation d’une méfiance à l’égard des médias pour obtenir des gains politiques — comme aux États-Unis, où des politiciens ont qualifié de « fake news » des informations pourtant factuelles, mais qui allaient à l’encontre de leur programme.