Alors qu'on parle de quasi-plein emploi et d'une situation économique qui s'améliore, les demandes d'aide alimentaire sont en hausse de 25 % depuis un an au Québec, avec un demi-million de Québécois qui ne mangent pas à leur faim, révèle le dernier rapport des Banques alimentaires du Québec, obtenu par La Presse.

« La situation est extrêmement préoccupante, confirme Annie Gauvin, directrice générale du réseau d'accompagnement. La demande explose, littéralement. Nous y faisons face du mieux qu'on peut, mais nous sommes essoufflés. »

Le problème, selon Mme Gauvin, va en s'accentuant, en raison des conditions « de plus en plus précaires » des « utilisateurs » qui fréquentent ce qu'elle appelle « le réseau de bienveillance ». Celui-ci est composé des 19 organismes Moisson partout au Québec, des popotes roulantes, des soupes populaires et des organismes pour itinérants, utilisés tantôt pour un panier de provisions, un repas chaud ou encore une collation.

« Chaque mois, nous desservons 100 000 personnes de plus dans notre réseau. C'est énorme ! » précise Mme Gauvin. 

« Nous répondons à 1,9 million de demandes. Ça démontre que de plus en plus de Québécois n'arrivent plus à se nourrir et qu'ils doivent se tourner vers de l'aide d'urgence pour manger. »

- Annie Gauvin

Mais il y a pire encore : depuis trois ans, la distribution de repas gratuits a grimpé de près de 50 % chez les enfants. « Il m'arrive de rencontrer des écoliers qui me disent qu'ils trouvent normal de ne pas manger. C'est inconcevable de laisser les enfants aller à l'école le ventre vide, on en convient ! », s'indigne Annie Gauvin.

Elle ajoute : « Le Québec n'est pas la seule province au pays à connaître un tel accroissement de fréquentation, mais on constate que c'est plus difficile chez nous, en dépit des apparences. À vrai dire, le Québec répond au tiers des demandes [visites] dans tout le Canada. »

« Contrairement à la croyance populaire, ceux qui demandent de l'aide ont un travail, mais ils manquent d'argent pour payer l'épicerie, note Mme Gauvin. La moitié des personnes qui font appel au réseau des banques alimentaires vivent seules. »

Gratter en profondeur

Ces données sont tirées d'une analyse « méthodologique et scientifique » réalisée auprès du réseau des banques alimentaires dont font partie 1200 organismes d'accompagnement. Elles ont été vérifiées par le chercheur Federico Roncarolo, affilié à l'Institut de recherche en santé publique de l'Université de Montréal.

Pour inverser la tendance, les banques alimentaires s'apprêtent à lancer une campagne de mobilisation « sans précédent », avec la participation du conteur et humoriste Boucar Diouf.

En acceptant d'être le « parrain et solidaire » de cette cause humanitaire, le conteur souhaite que son message soit entendu, non seulement dans la population et au sein des entreprises, mais aussi chez les élus, tant à Québec qu'à Ottawa.

« On dit que le taux de chômage est en baisse, ce sont là de bien belles statistiques, mais si on gratte un peu plus en profondeur, on voit une tout autre réalité. Il y a beaucoup trop de monde qui a faim, qui souffre d'insécurité alimentaire. ll faut agir si on veut trouver des solutions. C'est aussi une question de dignité alimentaire », évoque-t-il dans son style imagé.

Sans tomber dans le misérabilisme, il rappelle avoir lui-même souffert de la faim lorsqu'il vivait au Sénégal dans une famille de 19 enfants. « Mon père en arrachait et disparaissait pendant des jours pour trouver de quoi manger pour sa famille. Des déjeuners, on n'en avait pas vraiment. »

Les gouvernements interpellés

Boucar Diouf s'interroge sur le rôle et la « faible implication » financière des gouvernements pour améliorer le sort de ceux qui cherchent de l'aide. Il s'étonne de constater que l'État contribue pour « moins de 10 % » du budget annuel de 20 millions nécessaires pour « nourrir » la machine des banques alimentaires. On estime que 90 % du budget provient de dons provenant de partenaires sensibilisés à la cause.

M. Diouf perçoit néanmoins une lueur d'espoir. Une campagne de financement est en cours avec l'objectif d'amasser 15 millions, tandis que des pressions sont exercées sur les gouvernements afin de constituer un fonds d'infrastructures de 10 millions.

« Nous avons des denrées, mais il nous manque d'espace pour les entreposer dans de bonnes conditions, insiste Annie Gauvin, en conclusion. Il nous faut des frigos supplémentaires, des camions. Il nous faut payer les employés, même si nous pouvons compter sur de nombreux bénévoles. Nous avons des besoins grandissants. Nous voulons nourrir le monde. On est au Québec. »

LA FAIM DE GABRIEL CERVERA

Il est arrivé au Québec il y a trois ans. Il avait faim. On lui a offert une boîte de denrées alimentaires. Gabriel Cervera, 37 ans, est encore ému de tant d'attention.

« Je ne m'attendais pas à ça, dit-il. J'étais bénévole dans un centre pour immigrants dans le Plateau Mont-Royal. J'enseignais l'espagnol et l'anglais à des nouveaux arrivants... Mais je n'avais rien à manger. »

On lui avait alors proposé d'aider à faire la distribution des boîtes de nourriture pour ceux qui avaient le ventre vide.

« Je leur ai dit que moi aussi, je voudrais bien pouvoir en bénéficier ! », se souvient-il, après coup, avec humour.

De l'espoir

Gabriel Cervera continue de recourir à l'aide alimentaire, occasionnellement. Il ne mange pas toujours à sa faim, mais il ne se plaint pas de sa situation.

« Je n'ai pas d'emploi, déplore-t-il. Je continue d'enseigner sans salaire. J'aime le Québec, je m'y sens bien. Je me sens accueilli. »

Il y a quelques mois, il s'était trouvé un emploi dans un fast-food. Il est tombé, s'est fracturé une hanche. « J'ai maintenant un handicap. Je suis soumis à l'inactivité. Je n'ai pas été chanceux. »

Il s'accroche. Et il a une blonde, une Québécoise, qui s'occupe bien de lui. Elle a un boulot. Elle l'a rencontré en Colombie alors qu'elle se trouvait là-bas pour un organisme humanitaire.

En attendant, le professeur originaire de Bogotá enseigne, toujours à titre bénévole, à des immigrants qui ont faim. Tout comme lui lors de son arrivée au Québec, ils fréquentent les banques alimentaires, faute de pouvoir entrer chez Metro, IGA ou Provigo...

Photo François Roy, La Presse

L'humoriste Boucar Diouf, parrain d'une campagne de mobilisation des Banques alimentaires du Québec, et Annie Gauvin, directrice générale du réseau d'accompagnement