L'ambassadeur du Canada en Chine a été critiqué mercredi pour avoir soutenu que la directrice financière de Huawei disposait d'arguments juridiques «solides» pour éviter l'extradition vers les États-Unis, certains détracteurs croyant y voir un stratagème politique pour dénouer la crise diplomatique du gouvernement avec la Chine.

Les déclarations de l'ambassadeur John McCallum ont marqué un changement radical par rapport à la ferme position publique du gouvernement Trudeau selon laquelle la possible extradition de Meng Wanzhou suit un processus indépendant - et apolitique - qui doit être respecté.

Erin O'Toole, porte-parole conservateur en matière d'Affaires étrangères, a dit croire que les propos de M. McCallum avaient été approuvés par le cabinet Trudeau puisqu'il s'agissait de ses premières déclarations publiques après avoir informé le cabinet des retombées de l'affaire Meng lors de la réunion à Sherbrooke, la semaine dernière.

Il a souligné que M. McCallum n'avait rien dit de tel en informant un comité de députés de tous les partis, vendredi dernier, au lendemain de la mise à jour au cabinet.

M. O'Toole a soutenu que l'ambassadeur s'était placé dans une fâcheuse position.

Justin Trudeau s'attend à ce que la directrice financière de Huawei arrêtée le mois dernier au Canada se défende pleinement pour éviter d'être extradée vers les États-Unis, mais il ne veut pas présumer de la solidité de son dossier.

Le premier ministre a semblé prendre ses distances, mercredi matin, face aux propos tenus la veille par l'ambassadeur du Canada en Chine.

«Nous avons reconnu depuis le début à quel point c'est important de défendre la règle de droit, d'assurer l'application dans l'intégrité de ce système de la justice», a indiqué M. Trudeau aux journalistes, mercredi matin, lors d'un point de presse en Saskatchewan. «Évidemment, ça comprend le droit de toute accusée de se défendre pleinement des accusations portées contre elle, et c'est exactement ce que nous nous attendions dans ce cas.»

David MacNaughton, ambassadeur du Canada aux États-Unis, n'a pas voulu se prononcer sur le bien-fondé du dossier de Mme Meng.

«C'est un processus juridique. Ce n'est pas un processus politique. Ce n'est pas à moi de rendre ce genre de jugement», a-t-il affirmé aux médias à Washington.

Mme Meng avait été arrêtée à l'aéroport de Vancouver le 1er décembre en vertu d'un mandat américain. Les États-Unis soupçonnent la dirigeante de Huawei d'avoir cherché à contourner, par le biais d'une filiale, les sanctions commerciales imposées par Washington au régime iranien. Son arrestation a rapidement placé le Canada dans une position très inconfortable et provoqué une grave querelle diplomatique avec la Chine. Pékin a prévenu Ottawa de «graves conséquences» si Mme Meng n'est pas relâchée.

S'adressant à des journalistes chinois mardi, dans la région de Toronto, l'ambassadeur McCallum a énuméré plusieurs arguments juridiques que l'équipe de Mme Meng pourrait utiliser devant le tribunal pour contester son extradition aux États-Unis. Il a ainsi mentionné une éventuelle ingérence du politique dans le pouvoir judiciaire, après les commentaires du président américain - Donald Trump a soutenu qu'il pourrait se mêler de l'affaire si cela pouvait contribuer à obtenir une meilleure entente commerciale avec la Chine.

M. McCallum a aussi soutenu que Mme Meng pourrait évoquer le caractère extraterritorial du dossier, et plaider que les allégations américaines sont liées à des sanctions commerciales contre l'Iran que le Canada n'a pas lui-même imposées. «Je pense qu'elle a de solides arguments à faire valoir devant un juge», déclarait M. McCallum lors de son allocution d'ouverture aux journalistes.

Représailles ?

Dans les jours qui ont suivi l'arrestation de Mme Meng, la Chine a arrêté deux Canadiens. Michael Kovrig, un diplomate canadien en congé, et Michael Spavor, un entrepreneur, sont accusés d'avoir participé à des activités mettant en danger la sécurité nationale de la Chine.

Une cour d'appel chinoise a ensuite condamné à mort un autre Canadien, Robert Lloyd Schellenberg, dans le cadre d'un nouveau procès pour trafic de drogue. Il avait été condamné en première instance, en 2016, à une peine de 15 ans de prison.

Les analystes occidentaux estiment que ces arrestations et cette condamnation à mort font partie d'une tentative de Pékin de faire pression sur le Canada pour qu'il libère Mme Meng. Le gouvernement chinois a insisté de son côté sur le fait que Mme Meng n'avait rien fait de mal et n'avait enfreint aucune loi canadienne.

M. McCallum a profité mardi de l'occasion pour s'entretenir avec les journalistes chinois afin de leur expliquer le fonctionnement de la loi canadienne sur l'extradition. Il sait très bien, leur a-t-il dit, que l'affaire Meng avait personnellement contrarié le président chinois Xi Jinping.

«Je sais que le président Xi Jinping était très en colère à ce sujet et que d'autres membres du gouvernement chinois s'en sont inspirés, mais je ne sais pas exactement pourquoi», a dit M. McCallum. «Peut-être parce que Huawei est un fleuron de la nation chinoise. Ce n'est pas n'importe quelle entreprise chinoise : c'est une entreprise toute spéciale. Alors, c'est peut-être pour cela qu'il (Xi Jinping) est si furieux.»