(Ottawa) Les victimes de harcèlement de l’ancien sénateur Don Meredith s’impatientent. Six ans après les faits reprochés, certaines songent même à entamer une poursuite au civil contre le Sénat pour obtenir des réponses à leurs questions.

M. Meredith est accusé par six anciens employés et une agente de harcèlement psychologique et sexuel pendant qu’il siégeait à la Chambre haute. Les gestes reprochés vont de hurlements et de menaces, à des attouchements non désirés et l’exposition de ses parties génitales. Ils se seraient produits en 2013 et en 2014.

M. Meredith a été exclu du caucus conservateur en juin 2015 et a démissionné en 2017, tombé en disgrâce pour une autre affaire — il a été révélé qu’il avait entretenu une relation avec une adolescente de 16 ans.

Les allégations de la part de ses ex-employés traînent depuis des années. Un premier rapport, réalisé par une firme externe et remis en juillet 2015, n’a jamais été donné aux victimes. Le deuxième, réalisé par le conseiller sénatorial en éthique, a été rendu public cet été.

Dans ce document, Pierre Legault a conclu que M. Meredith entretenait un « environnement de travail empoisonné ». Il a remis ses conclusions à la fin du mois du juin, après quatre ans de travail entrecoupé par une enquête policière et des délais imposés en raison du « privilège parlementaire » des sénateurs.

Depuis, le Sénat jongle avec la suite à donner à ce deuxième rapport. Des nouveaux sénateurs indépendants souhaitent entendre les principaux intéressés qui ont traité les cas des victimes à l’époque et déterminer si elles devraient recevoir une compensation financière.

« C’est une honte. C’est honteux de la part du Sénat comme employeur d’avoir pris autant de temps, de ne pas avoir été proactif en faisant face à la situation », a déclaré la sénatrice indépendante Raymonde Saint-Germain, la semaine dernière.

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La sénatrice indépendante Raymonde Saint-Germain

Des sénateurs conservateurs et libéraux refusent pour leur part de tenir une partie des audiences en public, invoquant des questions de confidentialité et des enjeux légaux.

« Il y a des questions de nature délicate en jeu. Nous parlons d’employés. […] Nous avons une obligation administrative et fiduciaire de protéger le Sénat également », a justifié le sénateur conservateur David Tkachuk, lors d’une réunion du comité sénatorial de la régie interne, budgets et administration, le 5 septembre dernier.

« C’est tellement inacceptable, ça n’a pas de bon sens. […] Quel genre de signal on envoie dans la société, le Sénat, comme institution, quand on regarde tout ça ? Ce n’est pas… édifiant », a commenté la sénatrice Josée Verner.

Mais c’est la composition du comité, lors de la dernière rencontre tenue le 7 novembre dernier, qui a choqué l’une des victimes citées dans le rapport de Pierre Legault. Elle a accepté de se confier à La Presse canadienne sous le couvert de l’anonymat pour éviter les représailles.

L’ex-employée dit être tombée « sur le derrière » quand elle a vu que les sénateurs conservateurs Leo Housakos, Claude Carignan et Elizabeth Marshall — qui occupaient des positions de leadership au Sénat au moment où elle était victime d’agressions de la part de M. Meredith et où des enquêtes étaient en cours — pouvaient maintenant statuer sur son avenir.

« Aujourd’hui, ces mêmes personnes-là sont assises à la table pour potentiellement évaluer si nous méritons des dédommagements alors qu’ils ont été les principaux acteurs des plus grands de nos traumatismes », s’indigne celle qui accuse ces mêmes personnes d’avoir « fermé les yeux volontairement » sur ce qu’elle a vécu. « Donc, moi, je ne vois plus l’utilité de venir témoigner devant ce comité-là », ajoute-t-elle.

Certains des sénateurs visés disent être à l’aise de quitter la salle si les victimes le souhaitent et pour éviter toute apparence de conflit d’intérêts. Le sénateur conservateur Claude Carignan ne se fera pas prier pour rester : « Regarde, je n’en ai rien à foutre. Je ne me collerai pas sur la chaise pour rester là, je vais aller faire d’autre chose. »

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Le sénateur conservateur Claude Carignan

Même s’il a été leader du gouvernement Harper au Sénat pendant les faits allégués, M. Carignan dit ne pas avoir agi dans le dossier, qui relevait d’autres personnes, selon lui.

« Je ne suis aucunement intervenu, je n’ai aucunement lu les documents, je ne sais même pas de qui on parle. […] J’ai d’autres choses à faire que de lire ça. […] Ça ne me fout rien, ce qui se passait dans le bureau de Meredith. Je veux dire, il y a eu un rapport et je n’ai pas lu le rapport. Je ne suis pas dans le voyeurisme, et comme je n’étais pas dans le leadership quand c’est sorti, je n’avais aucun intérêt à lire le rapport », dit-il.

La whip du gouvernement au Sénat, Elizabeth Marshall, était bien au fait des allégations contre M. Meredith, puisque son bureau a été en contact avec des victimes, selon le rapport Legault. En entrevue avec La Presse canadienne, elle assure avoir « pleinement coopéré » à l’enquête du conseiller sénatorial en éthique.

Leo Housakos n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

L’ex-employée compte maintenant se tourner vers les tribunaux, aux côtés de deux autres victimes qui sont représentées par le même avocat, pour obtenir justice et obtenir le premier rapport. « Ça prend une instance indépendante et pour avoir les témoins qu’on souhaite avoir, il faut aller à la cour. C’est la seule instance à laquelle on fait confiance maintenant », dit-elle.

Elle se désole de la tournure des événements. Depuis six ans, elle dit être tenue dans l’ignorance sur les procédures qui la concernent et doit revivre ses agressions lors de chaque interrogatoire, alors que son présumé agresseur court toujours et touche sa pension.

« C’est épouvantable, sachant que ce prédateur-là reçoit sa pension d’honorable sénateur alors que c’est vous et moi qui payons ça et qu’il a encore son titre “d’honorable”. Et ça, ça ne peut pas lui être retiré tant et aussi longtemps qu’il n’est pas reconnu criminellement responsable de ses actes », dit-elle.

Le Sénat rédige actuellement une nouvelle politique contre le harcèlement, qui devrait être prête d’ici la fin de l’année et adoptée au début de 2020. La chambre haute a tout de même instauré des mesures intérimaires, comme l’embauche d’un enquêteur externe pour les victimes de harcèlement au travail.

Les victimes de M. Meredith, elles, attendent toujours. « C’est grave, conclut l’ex-employée qui s’est confiée à La Presse canadienne. C’est la plus haute institution au pays qui fait adopter des lois, mais dans son propre carré de sable, n’applique pas du tout ce dont elle parle publiquement. C’est comme un gros mensonge. »