(Ottawa) Bob Rae sera à nouveau envoyé spécial du Canada au Myanmar afin de recueillir des appuis internationaux à la poursuite pour génocide amorcée lundi par la Gambie contre le gouvernement du Myanmar.

L’armée du Myanmar a lancé en août 2017 des attaques contre les Rohingya, dans le cadre de ce qui a été largement considéré comme un acte de nettoyage ethnique comprenant des massacres et des viols. Des villages entiers de Rohingya ont été littéralement rasés et la violence systémique a forcé plus de 700 000 musulmans rohingya à fuir leur pays. La plupart d’entre eux ont fui vers le Bangladesh voisin et ont créé l’un des plus grands camps de réfugiés au monde.

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Bob Rae, avocat de formation et ancien chef par intérim du Parti libéral du Canada

M. Rae, avocat de formation et ancien chef par intérim du Parti libéral du Canada, a déclaré qu’il avait travaillé en coulisse sur la question des Rohingya, notamment lors d’une rencontre avec le ministre gambien de la Justice lors d’une conférence internationale qui s’est tenue il y a 10 jours.

C’est là que M. Rae a appris que la Gambie avait décidé de déposer, lundi, devant la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye, une requête pour engager des procédures contre le gouvernement du Myanmar, pour violations présumées de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. La requête a été déposée au nom de l’Organisation de la coopération islamique, un groupe de 57 pays musulmans.

La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a indiqué lundi dans un communiqué que cette mesure « contribuera à faire progresser l’imputabilité du génocide, y compris pour des actes de meurtre de masse, de discrimination systémique, de discours haineux et de violences fondés sur le sexe et sur le genre contre les Rohingya ».

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La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland

Mme Freeland indique que le Canada, de concert avec ses partenaires, explorera « des options pour soutenir la Gambie dans ces efforts ». À cette fin, son gouvernement sollicite à nouveau l’aide de Bob Rae, qui avait déjà été l’envoyé spécial du Canada au Myanmar.

« La ministre Freeland m’en a parlé et elle m’a demandé de rester en poste d’envoyé spécial, a expliqué M. Rae lundi. Une partie de mon mandat consistera à discuter de la manière dont le Canada pourrait soutenir la demande de la Gambie, mais également de l’élargir. Je travaille en coulisse et je m’attends maintenant à travailler un peu plus. »

La Convention de 1948

M. Rae ne connaîtra pas son mandat exact avant la formation d’un nouveau cabinet, le 20 novembre. Mais il a déjà consulté l’ambassadeur du Canada auprès de l’ONU, Marc-André Blanchard, en plus de rencontrer le ministre gambien, Abubacarr Tambadou. « Avant le déclenchement des élections, j’avais dit au gouvernement qu’à mon avis, il fallait mettre en place un processus interne solide pour considérer la CIJ comme un lieu possible pour une requête », a soutenu M. Rae en entrevue. « À ma connaissance, cette recommandation a été acceptée. »

En vertu de la Convention sur le génocide de 1948, signée par le Myanmar, les parties à l’accord peuvent demander à la Cour internationale de justice de se prononcer sur de potentielles violations. Le tribunal de La Haye peut offrir des opinions et des conclusions, « mais cela n’impute pas la responsabilité à des personnes en particulier », a précisé M. Rae.

« Cela permet par contre de chercher des solutions », a-t-il déclaré. « Mais ce qui continue à être frustrant dans le cas des Rohingya, c’est qu’on ne sait pas ce que cela va donner concrètement par la suite. »

Le Myanmar n’est pas partie au Statut de Rome, le traité qui a présidé à la naissance de la Cour pénale internationale, une institution que le Canada a contribué à créer à la fin des années 1990 à la suite des génocides au Rwanda et dans l’ex-Yougoslavie. « Il s’agit de bâtir l’argumentaire », a déclaré M. Rae. « Le monde ne peut pas continuer à regarder ailleurs : cela nécessite une plus grande attention. »

Dans son rapport sur le Myanmar, publié l’an dernier, M. Rae exhortait le Canada à jouer un rôle de premier plan dans toute poursuite internationale contre les auteurs de violences dans ce pays de l’Asie du sud. Il prédisait aussi des difficultés juridiques si la communauté internationale engageait des poursuites pour crimes contre l’humanité. Le principal défi serait alors de mettre sur pied un tribunal crédible et indépendant capable d’entendre l’affaire, a-t-il déclaré, notant que des tribunaux spéciaux avaient été mis en place pour poursuivre les auteurs de crimes de guerre au Cambodge, au Rwanda et dans l’ex-Yougoslavie.

Des déclarations de « génocide »

En septembre 2018, la Chambre des communes a appuyé à l’unanimité une motion qualifiant les crimes contre les Rohingya de « génocide ». La motion demandait à nouveau au Conseil de sécurité des Nations unies de renvoyer le Myanmar devant la Cour pénale internationale.

La motion coïncidait avec une mission d’enquête des Nations unies qui a conclu que l’armée du Myanmar avait systématiquement tué des milliers de civils rohingya, incendié des centaines de leurs villages et s’était livrée à un nettoyage ethnique et à des viols collectifs de masse. Les émissaires de l’ONU souhaitaient que les plus hauts généraux de l’armée fassent l’objet d’une enquête et de poursuites pour génocide.

Human Rights Watch, au nom de 10 organisations non gouvernementales internationales, a rappelé lundi que le Canada, le Bangladesh, le Nigéria, la Turquie et la France ont tous « affirmé que le Myanmar avait commis un génocide contre les Rohingya ».

La ministre Freeland a indiqué que « le Canada travaillera avec d’autres pays aux vues similaires afin de mettre fin à l’impunité dont bénéficient les personnes accusées d’avoir commis les crimes les plus graves au regard du droit international ».

En octobre 2018, le Canada a également déchu Aung San Suu Kyi, dirigeante civile du Myanmar, de sa citoyenneté canadienne honoraire pour sa complicité dans les atrocités. Elle était respectée depuis des décennies pour son opposition pacifique aux dirigeants militaires de son pays.