(Ottawa) Il n’y a pas que des avantages à être femme et mère de militaires. Reine Samson Dawe en sait quelque chose, elle qui a perdu son plus jeune fils, le capitaine Matthew Dawe, mort en Afghanistan en 2007.

Mme Samson Dawe, qui a été nommée Mère nationale de la Croix d’argent par la Légion royale canadienne, déposera lundi une couronne au pied du Monument commémoratif de guerre du Canada au nom de toutes les mères qui ont perdu des enfants pendant des opérations militaires à l’occasion des cérémonies du jour du Souvenir

En entrevue, Mme Samson Dawe reconnaît les difficultés associées au fait de faire partie d’une famille de militaires. Les déménagements sont fréquents, on vit parfois dans des endroits relativement isolés, on doit se séparer au moment d’un déploiement à l’extérieur du pays, sans oublier, bien sûr, la menace constante de perdre un proche.

Reine Samson Dawe, qui avait fait des études en physiothérapie à Montréal, a rencontré son mari au cours d’un stage à l’hôpital militaire de Halifax. Elle se souvient de cette nuit de 2002 lorsque quatre soldats ont été tués par erreur par un avion américain au cours de l’intervention en Afghanistan. Ses fils aînés Peter et Philip y étaient alors déployés. Elle se rappelle avoir dormi à peine en attendant de recevoir des nouvelles.

« Lorsque Pete a appelé, la première chose qu’il a dite a été: ’maman, tout va bien’. Je ne pouvais pas parler, raconte-t-elle. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. À ce moment-là, je n’avais aucune retenue, j’étais tellement soulagée. Ce sont des moments extrêmement difficiles, évidemment. »

Cinq ans plus tard, la tragédie a frappé la famille de Reine Samson Dawe. Un autre fils, Matthew, a été l’un des six soldats canadiens et d’un interprète afghan tués par un engin explosif improvisé. Le jeune homme âgé de 27 ans est mort le jour du deuxième anniversaire de la naissance de son fils Lucas.

Aujourd’hui encore, Mme Samson Dawe a du mal à comprendre comment la tragédie les a affectées, sa famille et elle. Mais la mort de Matthew a contribué à souder encore plus la famille qui devait notamment réconforter et aider le petit Lucas. Malgré cette perte, elle préfère voir les aspects positifs de la vie d’une femme et d’une mère de militaires.

« Nous étions jeunes. J’ai toujours pensé que les déménagements étaient un défi, mais aussi une aventure. J’aimais arriver dans des nouveaux endroits et rencontrer de nouvelles personnes », raconte-t-elle.

La mémoire des familles

Historiquement, le gouvernement fédéral n’a pas beaucoup pensé aux familles de militaires, déplore l’historien Tim Cook, du Musée canadien de la guerre.

« Le soin des familles n’était pas principalement la tâche du ministère de la Défense nationale et des autres », rappelle-t-il.

« Il fallait pour gagner la guerre. Mais nous avons découvert au cours de la seconde moitié du XXe siècle que nous avions mal aidé les familles à faire face au chagrin, à la perte d’un être cher et à la réintégration des anciens combattants. »

En 2013, l’ombudsman des Forces armées canadienne écrivait que la relation entre des familles de militaires stables et fonctionnelles et une force de combat efficace et durable a été établie après la Guerre froide, lorsque de nombreuses unités canadiennes ont participé à des missions de maintien de la paix.

« Par conséquent, le soutien aux familles est devenu une priorité organisationnelle absolue pendant la majorité de la période de l’après l’an 2000 », ajoutait-il.

Les Forces armées canadiennes gèrent aujourd’hui un réseau de 32 centres de ressources pour les familles des militaires (CRFM) situées dans des bases partout au pays. Ces centres servent de guichet unique pour les familles qui s’installent dans de nouvelles régions ou font face au stress de la séparation ou du deuil.

« On ne connaît pas vraiment le mode de vie des militaires avant de l’avoir vécu », dit Taylor Galloway, responsable des services d’engagement familial au CRFM à Ottawa, qui travaille en étroite collaboration avec les familles de militaires de la région de la capitale nationale.

« C’est vraiment, vraiment, un choix de sacrifier une grande partie de sa vie et celle de sa famille pour servir un pays. Je pense donc à cette bravoure et à cette force que cela implique vraiment du point de vue d’un militaire, mais aussi du point de vue d’une famille et des enfants. »

L’Institut Vanier de la famille a publié la semaine dernière une étude selon laquelle de nombreuses familles de militaires au Canada continuent de faire face à plus de difficultés financières que leurs homologues civiles, notamment à cause des coûts supplémentaires associés aux déménagements et aux déploiements ainsi qu’à de la perte de revenus du conjoint qui doit sacrifier sa carrière personnelle.

De nombreuses familles de militaires ont également des difficultés à accéder aux soins de santé, selon un article publié dans la revue du Médecin de famille canadien en janvier. L’article indiquait que, même si les membres des Forces sont traités dans le cadre du système de santé militaire, « les familles doivent constamment naviguer dans plusieurs systèmes de santé civils des provinces et des territoires ».

Pour sa part, Mme Samson Dawe a encouragé les familles de militaires à aller chercher du soutien et à accéder aux services mis à leur disposition. Et même si elle ne voulait pas diminuer le soutien offert à sa famille après la mort de Matthew, elle a exhorté les Canadiens de tout le pays à penser aux familles des militaires le jour du Souvenir, ainsi que tous les autres jours de l’année.

« J’aimerais que les Canadiens démontrent leur soutien aux familles des militaires, a-t-elle déclaré. La dernière chose que les familles veulent, et je pense que cela vaut pour les soldats en général, c’est la pitié. Elles méritent bien plus que cela. »