(Ottawa) Des dizaines de manifestants se sont rassemblés devant un tribunal fédéral, lundi à Toronto, pour demander la suspension de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, arguant que les États-Unis ne peuvent plus être qualifiés aujourd’hui de « pays sûr » pour les réfugiés.

Cette manifestation coïncidait avec le début de l’audition de la contestation, en Cour fédérale, de l’Entente sur les tiers pays sûrs, signée il y a 17 ans, qui empêche un migrant qui arrive des États-Unis à un poste frontalier officiel canadien d’y demander l’asile — et vice-versa. En vertu de cette entente, les demandeurs du statut de réfugié doivent en effet présenter leur demande d’asile dans le premier pays qu’ils ont foulé.

Or, cette entente est de plus en plus critiquée depuis que Washington a resserré ses règles en matière d’asile depuis quelques années. Certains croient même que les mesures prises par l’administration de Donald Trump ne font plus des États-Unis un « tiers pays sûr », au sens de l’entente, pour les demandeurs du statut de réfugié.

Par ailleurs, lorsque le Canada renvoie les migrants arrivés à un poste frontalier, leurs droits garantis par la Charte canadienne seraient violés, estiment des organismes qui plaideront leur cause cette semaine en Cour fédérale à Toronto. La contestation, amorcée en 2017, devrait être entendue jusqu’à vendredi. Un des requérants soutient, dans son mémoire écrit déposé au tribunal, que « les demandeurs d’asile, qui ne demandent qu’une protection, sont détenus pour une durée indéterminée, dans des conditions qui ne sont rien de moins que cruelles et inusitées ». Or, l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que « chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ».

Le président américain, Donald Trump, a décrété peu de temps après son élection une série de changements au système d’immigration ; il a notamment tenté d’interdire les immigrants de pays musulmans et il a suspendu l’amnistie pour les déportations d’immigrants en situation irrégulière vers des pays d’Amérique centrale.

« De nombreux Canadiens […] ont instinctivement conclu qu’il était insensé que le Canada s’arrime de cette façon aux politiques américaines et refoule des gens aux États-Unis où leurs droits fondamentaux sont violés », explique Janet Dench, directrice du Conseil canadien pour les réfugiés, l’un des organismes qui contestent l’entente en Cour fédérale.

Un enjeu politique

Depuis le début de l’affaire, en 2017, les restrictions en matière d’asile se sont encore resserrées, avec notamment la décision du procureur général américain, l’an dernier, de refuser les demandes d’asile fondées sur la violence conjugale.

Le gouvernement canadien, de son côté, soutient que le système américain fonctionne toujours et il souhaite que la contestation soit rejetée par la Cour fédérale.

Les requérants espèrent que le tribunal suspendra l’entente, ou qu’il ordonne à tout le moins des modifications qui permettraient aux demandeurs d’asile de présenter leur requête à un poste frontalier officiel.

Au cours des deux dernières années, quelque 45 000 migrants ont réussi à demander l’asile en arrivant au Canada de façon irrégulière, entre deux postes frontaliers officiels, comme au chemin Roxham, en Montérégie. Cet afflux inattendu a exercé une pression sur les services d’immigration et les services sociaux, qui a fait de l’Entente sur les tiers pays sûrs un enjeu politique.

Lors de la dernière campagne électorale, les libéraux ont promis de discuter avec Washington pour tenter de « moderniser » l’accord, mais les organismes de défense des droits des migrants ne savent pas exactement ce que cela veut dire.

Ce n’est pas la première fois que l’entente est contestée devant les tribunaux. En 2007, la Cour fédérale avait conclu que les États-Unis n’étaient plus un « tiers pays sûr » pour les réfugiés, mais cette décision a été plus tard infirmée en appel.