(Ottawa) L’armée canadienne doit ajuster sa mission menée en Irak et au Liban contre le groupe armé État islamique (EI) à cause des manifestations antigouvernementales qui ébranlent ces deux pays et menacent de déstabiliser davantage le Moyen-Orient.

Les manifestations ont commencé il y a plusieurs semaines alors que la colère et la frustration suscitées par la corruption endémique, le chômage et le manque de services de base ont poussé des milliers de citoyens dans les rues, ce qui a mené à la démission des premiers ministres des deux pays cette semaine. Ces manifestations ont également été entachées de violences : des affrontements ont opposé des manifestants pro et antigouvernementaux au Liban, tandis que plus de 200 manifestants en Irak ont été tués et des milliers d’autres blessés — plusieurs auraient été victimes des forces de sécurité locales.

Dans une entrevue accordée à La Presse canadienne, le brigadier général Michel-Henri St-Louis, commandant des Forces canadiennes dans la région, a assuré que ses troupes continuaient à former et à soutenir leurs collègues irakiens et libanais dans le cadre de la lutte contre l'EI. M. St-Louis admet que les manifestations ont parfois rendu les déplacements des Canadiens plus difficiles, et qu’elles les ont même forcés à se retirer ou à suspendre temporairement une partie de leur mission.

« Il suffit donc de continuer à réviser notre protection, nos mesures, la menace, puis de nous adapter à ce qui se passe sur le terrain », a déclaré M. St-Louis au téléphone depuis son quartier général à la base aérienne Ali Al Salem, au Koweït, près de la frontière irakienne.

Le Canada contribue environ 850 militaires à l’effort international visant à vaincre l'EI. La contribution canadienne comprend des centaines d’instructeurs militaires en Irak et un nombre moins important au Liban et en Jordanie. Le Canada fournit également des dizaines de soldats des forces spéciales, quatre hélicoptères et un hôpital de combat en Irak, ainsi que deux avions de transport et l’unité du quartier général au Koweït.

Le commandant St-Louis n’a pas voulu préciser quel impact à long terme cette instabilité pourrait causer sur la mission ni si des mesures de sécurité supplémentaires avaient été mises en place pour protéger les centaines de soldats canadiens déployés. Il promet toutefois que leur sécurité et leur protection seraient sa priorité absolue.

Il assure par ailleurs que l’impact réel des manifestations sur la mission canadienne avait été somme toute minime. « Nous sommes dans la même infrastructure tactique, nous sommes dans les mêmes bases et nous continuons à remplir notre mission », a-t-il déclaré. « Nous avons eu quelques légers ajustements qui ont été mis en place pour atténuer ce risque, mais en substance, il n’y a aucun impact significatif sur l’exécution de notre mission. »

Des atrocités par des unités irakiennes ?

Les manifestations ont néanmoins semé la consternation et l’incertitude en Irak, au Liban et dans cette région qui était déjà très volatile depuis des années. Outre les manifestations, l’invasion du nord-est de la Syrie par la Turquie après le retrait des troupes américaines a fait craindre une recrudescence de la violence, alors même que la mort du dirigeant de l'EI, Abu Bakr al-Baghdadi, laisse présager de l’incertitude quant à l’avenir du groupe extrémiste.

« S’il y a une chose que nous avons apprise au cours des huit ou neuf dernières années au sujet du Moyen-Orient — nous le savions auparavant, mais c’est particulièrement clair aujourd’hui —, c’est que tout cela est très imprévisible », a rappelé le professeur Thomas Juneau, un expert du Moyen-Orient à l’Université d’Ottawa.

« Les manifestations peuvent s’essouffler […] Mais elles peuvent aussi reprendre et s’intensifier, surtout lorsqu’elles sont accueillies avec violence, comme en Irak. Qu’arrivera-t-il en Irak et au Liban ? Personne ne le sait. » C’est pourquoi M. Juneau croit que les Forces canadiennes devraient envisager, si elles ne l’ont pas déjà fait, un plan d’évacuation du personnel militaire d’Irak si la situation se détériorait soudainement.

L’assassinat de manifestants, dont beaucoup auraient été abattus par les forces de sécurité locales, est l’un des aspects les plus troublants de la situation actuelle en Irak. Le premier ministre Adel Abdul Mahdi a ensuite ordonné le retrait et la mise en accusation d’une dizaine de hauts responsables de la police et de l’armée. Le commandant St-Louis a soutenu qu’aucun d’entre eux n’entretenait de lien direct avec les Forces canadiennes.

La situation soulève néanmoins des questions légitimes au sujet des commandants et des unités militaires avec lesquels les Forces armées canadiennes travaillent en Irak et ailleurs, a déclaré le professeur Juneau — il rappelle que les militaires sont traditionnellement réticents à partager de telles informations.

« C’était une des grandes préoccupations du quartier général de la Défense et du gouvernement en général : que les unités irakiennes que nous formons commettent des atrocités, qu’il s’agisse de la lutte contre Daech ou, pour parler du contexte actuel, de la répression » des citoyens irakiens, a-t-il déclaré. « Le fait est que nous avons très peu d’informations sur ceux qui sont effectivement formés par les militaires canadiens. »