(Ottawa) L’Agence des services frontaliers du Canada obligera bientôt tous ses agents travaillant avec des migrants en détention à porter un équipement de protection, suscitant de nombreuses inquiétudes quant à la prétendue « criminalisation » des demandeurs d’asile.

L’équipement obligatoire comprend des matraques, un vaporisateur de gaz poivré et un gilet pare-balles.

La politique nationale a été adoptée à l’interne l’année dernière après que l’ASFC eut commencé à transférer dans l’un des trois centres de détention de l’Agence ceux qu’elle juge comme des détenus migrants représentant un risque élevé pour la sécurité publique. Auparavant, ces personnes étaient détenues dans des prisons provinciales.

Selon des documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, l’agence a décidé que tous les agents travaillant dans ces centres devront être équipés d’un équipement de protection afin d’assurer une approche opérationnelle commune.

« Cela nécessitera une plus grande présence des agents de l’ASFC dans la gestion de la population de détenus dans les Centres de surveillance de l’immigration (CSI), qui devront avoir la capacité de désamorcer et d’intervenir physiquement si nécessaire, indique la note d’information. Le fait de veiller à ce que les agents d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs portent leur équipement de défense leur permettra de se protéger et de se défendre tout en protégeant les autres, si nécessaire, dans la CSI.»

L’équipement que doit porter un agent doit comprendre des bottes à embout d’acier, un «gilet pare-balles souple» un bâton défensif, un vaporisateur de gaz poivré et des menottes. Il ne portera pas d’armes à feu.

Ces changements ont suscité des inquiétudes. Certains craignent que cette politique crée un environnement dans les CSI s’apparentant à des conditions de prison et donne l’impression que tous les migrants détenus au Canada sont des «criminels» dignes d’être punis.

Un groupe de médecins, d’avocats, de juristes et d’organisations de défense des droits de la personne ont demandé en vain au ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, d’annuler cette politique.

«Nous nous félicitons de vos efforts pour réduire le nombre de migrants détenus dans des prisons provinciales. Toutefois, le fait de prendre des mesures de sécurité dans un centre de détention administrative calquées sur celles d’une institution pénitentiaire va à l’encontre de cet objectif», disent-ils dans une lettre datée du 22 juin 2018.

«La politique proposée donnerait aux agents de l’ASFC certains des mêmes outils que les agents de correction dans les établissements à sécurité maximale […], ce qui est clairement disproportionné par rapport à tout risque potentiel. Cela n’est pas justifié. »

Le syndicat les représentant a aussi exprimé des craintes. Il s’inquiète notamment des risques accrus liés la présence d’armes en cas de situation à haut risque ou si une confrontation se produisait.

Anthony Navaneelan, un avocat de l’Aide juridique de l’Ontario, constate qu’il arrive rarement que le syndicat des agents des services frontaliers et les groupes des défenses des migrants partagent des opinions communes.

Selon lui, porter un équipement de protection devant des réfugiés est «inapproprié et inutile».

«L’ASFC ne nous a pas signalé d’incidents survenus dans les centres de surveillance de l’immigration qui justifieraient ce type de mesures. Il faut bien sûr prendre des mesures proactives pour faire face à des problèmes futurs, mais la création d’un environnement dans lequel les agents sont équipés de ce type d’équipement est presque une solution à la recherche d’un problème.»

Dans un communiqué, une porte-parole de l’ASFC, Rebecca Purdy, a dit que les procédures opérationnelles de l’agence indiquent que les agents «doivent» porter l’équipement de protection et de défense mis à leur disposition dans l’exercice de leurs fonctions.

La décision d’équiper les agents travaillant dans les centres de détention pour migrants a été prise «pour assurer une harmonisation nationale des normes de l’ASFC de ses opérations et elle est conforme aux pratiques mises en œuvre à l’échelle nationale et internationale en matière de détention», a ajouté Mme Purdy.

Devant les inquiétudes soulevées par les groupes de défenses des droits de la personne et le syndicat des agents frontaliers, Mme Purdy a soutenu que l’ASFC «veille à ce qu’un équilibre soit trouvé entre la sécurité et la sûreté des agents et des autres détenus.»

Au Canada, les demandeurs d’asile peuvent être détenus pour un certain nombre de raisons, notamment si les agents de l’ASFC ont des raisons de croire qu’il leur sera interdit de rester au pays pour des raisons de sécurité, de criminalité ou de cas de violation des droits de la personne.

Un migrant peut également être détenu simplement si un agent de l’ASFC croit que la personne pourrait ne pas se présenter à l’audience de détermination du statut de réfugié. C’était le cas, l’an dernier, de 81 % des migrants détenus au pays, selon des données gouvernementales publiées en ligne.