(Gatineau) Il a parlé d’une « honte », d’une journée charnière pour le pays, mais Justin Trudeau n’a pas employé le terme « génocide » que l’on retrouve plus d’une centaine de fois dans le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA).

« Ceci est un jour inconfortable pour le Canada », a déclaré le premier ministre dans un discours livré dans la grande salle bondée du Musée canadien de l’histoire de Gatineau, aujourd’hui.

« Pendant des décennies, des femmes et filles autochtones à travers le Canada ont disparu, été violentées ou tuées, et notre système de justice a échoué », a déploré Justin Trudeau, qui a été applaudi poliment avant et après son allocution.

« Ce n’est pas une relique du passé. À ce jour, la sécurité et la dignité de mères, filles, sœurs et amies autochtones sont fréquemment menacées […] Nous avons entendu que leurs droits humains sont constamment et systématiquement bafoués », a-t-il poursuivi.

« C’est honteux. C’est absolument inacceptable. Et cela doit cesser », a tranché le premier ministre lors de la cérémonie officielle de remise de ce rapport accablant pour le gouvernement du Canada, qui tient sur près de 1200 pages.

Assurant que son gouvernement allait examiner « en profondeur » ce volumineux document, il s’est d’ores et déjà engagé à respecter l’une des 231 recommandations du rapport en déposant un plan national pour mettre fin à la violence faite aux femmes et filles autochtones.

Le premier ministre, qui était accompagné de sa femme Sophie Grégoire et de quelques-uns de ses ministres, s’est dit « très reconnaissant » de recevoir le rapport que lui ont remis aujourd’hui les commissaires de l’ENFFADA, soutenant que cette étape marquait la fin d’un « chapitre de cette histoire douloureuse ».

Le rapport est très critique et sévère à l’endroit du gouvernement fédéral ; il conclut que la violence que les femmes et les filles autochtones subissent est un « génocide planifié ».

Le premier ministre, qui avait souscrit à au terme « génocide culturel » employé dans un rapport de la Commission vérité et réconciliation, en juin 2015, n’a pas prononcé le terme « génocide » tout court.

Et il ne faut pas s’attendre à ce que Justin Trudeau ou son gouvernement confirme dans les prochains jours si le gouvernement du Canada reconnaît si telle chose s’est produite sur son propre territoire, a indiqué à La Presse une source gouvernementale. Le premier ministre ne sera pas en Chambre de la semaine pour répondre aux questions.  

Croisée dans la salle, l’ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, qui a été la première Autochtone à occuper ce poste, n’a pas semblé chaude à l’idée d’employer le terme génocide. L’important, a-t-elle argué, est d’aller de l’avant avec la réconciliation et démanteler le système colonial.

Rapport québécois

Un rapport complémentaire vise exclusivement le Québec, notamment en raison de l’existence de plusieurs ententes tripartites entre l’État québécois, Ottawa et les nations autochtones.

Celle qui a poussé pour qu’un rapport québécois voie le jour, la commissaire Michèle Audette, a formulé le souhait de pouvoir compter sur « un système de justice qui nous protège » dans l’allocution qu’elle a prononcée avant Justin Trudeau, sous les applaudissements du chef de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde.

« Il faut que ça change. Avions-nous besoin d’une commission d’enquête pour le savoir ? Non, Mais nous avons maintenant 1200 pages pour le prouver […] Une femme autochtone qui compose le 9-1-1 doit se sentir en sécurité », a-t-elle plaidé.

PHOTO CHRIS WATTIE, REUTERS

Vêtues de rouge – couleur qui symbolise les « sœurs disparues » - plusieurs femmes et filles, ayant participé aux travaux de la commission, s’étaient déplacées à Gatineau pour être aux premières loges de la cérémonie.

Des dizaines de familles endeuillées et survivantes des quatre coins du pays ont convergé vers Gatineau pour prendre part à la cérémonie de clôture officielle de l’exercice, amorcé à l’automne 2016. Sur le coup de 9 h, des aînés ont entamé sur la scène principale des danses traditionnelles et des chants au rythme du tambour.

Vêtues de rouge – couleur qui symbolise les « sœurs disparues » - plusieurs femmes et filles, ayant participé aux travaux de la commission, s’étaient déplacées à Gatineau pour être aux premières loges de la cérémonie. Certaines avaient d’ailleurs en main des affiches de personnes disparues montrant une de leur proche ou amie.

« Génocide canadien »

« Nous sommes en présence d’un génocide. » C’est la conclusion, sans appel, du rapport que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Le terme, qui revient abondamment dans le document n’a pas été employé à la légère. Mais toute la violence qu’ont racontée les centaines de familles de survivantes « équivaut à un génocide fondé sur la race », tranche-t-on.

Le système colonial, la Loi sur les Indiens, la rafle des années 60, la stérilisation forcée de femmes autochtones, les pensionnats indiens figurent parmi les fondements de ce « génocide canadien », qui vise « tous les autochtones », mais surtout les femmes et les filles autochtones.

PHOTO DARRYL DYCK, LA PRESSE CANADIENNE

La commissaire en chef Marion Buller

Le rapport, intitulé « Réclamer notre pouvoir et notre place porte » sur « un génocide planifié, fondé sur la race, l’identité et le genre », écrit la commissaire en chef, Marion Buller, dans la préface.

Le Québec est loin d’être épargné dans le rapport coup-de-poing. Les femmes autochtones québécoises vivent « le plus souvent dans l’indifférence, et parfois même le mépris », alors que les anciennes « politiques coloniales » ont « infiltré les institutions québécoises », écrit-on dans le rapport dédié à la province.

Les commissaires réclament que Québec crée une entité civile indépendante, à l’image du Protecteur du citoyen, destinée à la population autochtone, et que le gouvernement Legault lance sans délai une enquête publique sur les enfants autochtones disparus. Vingt recommandations sont adressées directement au gouvernement du Québec.

Il s’agit de la seule province à détenir un rapport complémentaire. Par ailleurs, le Québec est avec l’Ontario l’une des seules provinces du Canada qui dispose de son propre corps policier, soit la Sûreté du Québec. La particularité de la langue a aussi pesé dans la balance.

Recommandations

Le rapport national comporte évidemment une kyrielle de recommandations – plus de 200 au total – que l’on qualifie plutôt d’« appels à la justice ». Et on mentionne qu’il s’agit en fait d’« impératifs juridiques » qui sont tout sauf optionnels.

Car ces appels « découlent des lois nationales et internationales », et le Canada « a l’obligation légale de [les] mettre pleinement en application » et veiller à ce que les femmes, filles et personnes 2ELGBTQQIA autochtones « vivent dans la dignité », écrit-on. Plus de 2380 personnes ont participé d’une manière ou d’une autre à l’ENFFADA entre novembre 2017 à décembre 2018. Parmi elles figurent des centaines de familles de victimes, qui ont témoigné lors d’audiences publiques ou à huis clos. Le chemin a été semé d’embûches pour l’Enquête nationale : on a dû composer avec les démissions de membres de premier plan, dont celle d’une commissaire, Marilyn Poitras, et avec de vives critiques en provenance de certains groupes autochtones.

RECOMMANDATIONS EN RAFALE

•Concevoir, en partenariat avec les peuples autochtones, puis déposer un plan d’action national visant à mettre en œuvre les conclusions de l’enquête.

•Créer un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne. L’ombudsman aurait l’autorité de mettre sur pied un tribunal national.

•Instaurer au Québec une entité civile indépendante du même genre que le protecteur du citoyen pour les communautés autochtones.

•Mettre sur pied des organismes autochtones civils de surveillance de la police partout au Canada.

•Créer une cellule de crise au ministère québécois de la Sécurité publique pour les cas de disparition de femmes et filles autochtones.

•Mettre sur pied une unité d’enquête spéciale sur les omissions d’enquêter, les inconduites de la police et les pratiques discriminatoires.

•Intégrer au curriculum scolaire un volet d’enseignement sur les réalités autochtones historiques et contemporaines.