(Ottawa) Soixante-neuf conteneurs de déchets canadiens qui pourrissent depuis plus de cinq ans aux Philippines étaient chargés sur un porte-conteneurs dans le port de Subic, jeudi, alors que le premier ministre de Malaisie estimait que les pays riches devraient mettre fin à cette pratique «extrêmement injuste» pour les pays plus pauvres.

Le secrétaire philippin aux Affaires étrangères, Teddy Locsin, a publié jeudi une vidéo et des photos sur son compte Twitter qui montrent, selon lui, les conteneurs canadiens en cours de chargement sur le navire Bavaria. Le bateau devait partir pour Vancouver plus tard jeudi, et Ottawa a déjà indiqué que les déchets devraient arriver en sol canadien d’ici la fin de juin. Des représentants canadiens de l’ambassade à Manille surveillaient le chargement jeudi.

Un responsable canadien a confirmé que le Bavaria avait été retenu dans le cadre du contrat de 1,14 million signé par Ottawa avec la filiale canadienne du géant français du transport maritime Bolloré Logistics. Le responsable a ajouté que les conteneurs avaient été fumigés et nettoyés avant d’être chargés sur le navire.

Ces conteneurs sont devenus un cauchemar diplomatique pour le gouvernement canadien : le président philippin, Rodrigo Duterte, en a fait un exemple de la façon dont le Canada tente de déverser ses déchets sur son pays. Cet embarrassant dossier est également devenu un symbole de l’incertitude dans l’industrie mondiale de la récupération, qui voit des millions de tonnes de plastiques destinés au recyclage se retrouver dans des dépotoirs et des incinérateurs à l’étranger.

Les conteneurs de déchets canadiens étaient arrivés aux Philippines en 2013 et 2014, étiquetés à tort comme des matières plastiques destinées au recyclage. Les douaniers philippins ont plutôt découvert qu’il s’agissait aux deux tiers d’ordures ménagères communes, y compris des déchets électroniques ou des couches souillées.

On dénombrait à l’origine 103 conteneurs — pour environ 2500 tonnes de déchets —, mais les ordures de 34 conteneurs ont été éliminées aux Philippines même, malgré les objections de groupes environnementaux locaux.

L’organisme philippin EcoWaste Coalition et l’organisme canadien RightOnCanada ont publié jeudi un communiqué dans lequel ils qualifient le retour des déchets de «victoire de l’État de droit, de la moralité et de l’environnement».

«Les Philippines ne sont pas le dépotoir du monde», a déclaré Aileen Lucero, coordonnatrice nationale de la coalition EcoWaste. «Plus jamais nous ne laisserons d’autres pays bafouer notre dignité, la santé de notre peuple et l’environnement.»

L’entreprise qui a expédié les conteneurs aux Philippines, Chronic Inc., de Whitby, en Ontario, semble être aujourd’hui inactive.

Changement de gouvernement

Les libéraux à Ottawa ont rejeté le blâme sur l’ancien gouvernement conservateur, puisque les ordures étaient arrivées aux Philippines pendant le mandat du premier ministre Stephen Harper. Ce gouvernement a d’abord tenté de convaincre les Philippins d’en disposer eux-mêmes ou de trouver un autre pays asiatique prêt à les accepter.

Les Philippines ont effectivement commencé à vider les conteneurs en juillet 2015, mais ont cessé devant le tollé général.

Les libéraux, arrivés au pouvoir en octobre 2015, négocient avec les Philippines depuis trois ans et demi; ils ont finalement accepté, en avril dernier, de récupérer les déchets restants et de payer la note, après que le président Duterte a menacé de «déclarer la guerre» au Canada. Lorsqu’a été dépassée la date limite du 15 mai fixée pour la collecte des déchets, Manille a rappelé son ambassadeur et ses consuls généraux.

Le secrétaire aux Affaires étrangères Locsin a alors répété à maintes reprises que les Philippines renverraient elles-mêmes les déchets au Canada, mais un responsable canadien s’exprimant sous le couvert de l’anonymat a déclaré qu’il ne s’agissait en réalité que d’une menace vide. Selon lui, M. Locsin n’a jamais favorisé la prise en charge par les Philippines de l’expédition: il a en fait collaboré sur le terrain pour que le Canada s’en charge lui-même.

Le gouvernement canadien se targue maintenant d’une nouvelle réglementation qui empêcherait les entreprises canadiennes d’expédier des déchets vers des pays qui ne se doutent de rien. Mais des responsables malaisiens ont déclaré cette semaine que 60 conteneurs d’ordures étrangères, dont un en provenance du Canada, pourrissaient dans leurs ports et que ce pays souhaitait les réexpédier là d’où ils viennent.

La pollution n’a pas de frontière

En visite à Tokyo jeudi, le premier ministre de Malaisie, Mahathir Mohamad, a déploré cette pratique « extrêmement injuste » des États-Unis, du Canada et du Japon.

«Il est extrêmement injuste pour les pays riches d’envoyer leurs déchets à des pays pauvres simplement parce que ces pays pauvres n’ont pas le choix et que cela contribue peut-être un peu à leur économie», a déclaré M. Mahathir en conférence de presse. «Nous n’avons pas besoin de vos déchets, car nos propres déchets nous causent déjà assez de soucis.»

La Chine a interdit l’importation de déchets de plastique l’année dernière, amenant plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est à devenir de nouvelles destinations.

«Vous nous confiez les déchets puis vous allez nous demander de polluer l’environnement en les éliminant», a déclaré M. Mahathir. «Mais rappelez-vous s’il vous plaît que lorsque vous polluez une partie du monde, vous polluez également le reste du monde.»