Le Canada maintient le cap et promet de signer comme prévu la semaine prochaine à Marrakech un pacte international sur les migrations malgré les critiques du Parti conservateur et d'une dizaine de pays qui voient dans cette initiative une grave atteinte potentielle à la souveraineté des États.

La ministre fédérale du Développement international, Marie-Claude Bibeau, a indiqué hier en entrevue avec La Presse que le pacte en question n'aurait pas « force de loi de quelque façon que ce soit » et ne justifiait pas les mises en garde alarmistes entendues au cours des dernières semaines.

« Il n'y a que du positif là-dedans », a souligné la politicienne, qui se réjouit de constater qu'une large majorité de pays de la planète s'entendent sur la nécessité de collaborer pour mieux gérer les flux migratoires.

« On ne doit pas se mettre la tête dans le sable. Ça fait partie de notre époque. En se parlant, on peut faire en sorte que ces mouvements [de population] se passent le mieux possible. »

Le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, maintient que le pacte élaboré depuis deux ans sous l'égide des Nations unies est inacceptable, puisqu'il va conférer à une « entité étrangère » une « influence indue » sur les politiques migratoires du Canada.

Mme Bibeau indique qu'elle se « désole profondément » de voir que l'opposition « joue sur la peur » et cherche à faire croire aux gens que le Canada s'apprête à « céder sa souveraineté » sur ses frontières.

Objectifs du pacte

Le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » vise à « établir un cadre de coopération » international en matière de migration qui « respecte la souveraineté des États et les obligations que leur fait le droit international ».

Le texte du pacte précise « qu'une démarche globale est nécessaire afin d'optimiser l'ensemble des avantages de la migration, tout en tenant compte des risques et des difficultés auxquels elle donne lieu pour les individus et les communautés des pays d'origine, de transit et de destination ».

Il comporte plus spécifiquement une vingtaine d'objectifs. Les États signataires promettent notamment de lutter contre les problèmes structurels qui poussent les migrants à quitter leur pays d'origine, de rendre les filières de migration régulière « accessibles », de minimiser le recours à la rétention administrative, d'assurer l'accès des migrants « à des services de base » et d'encourager un débat public « fondé sur l'analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues ».

Susan Fratzke, analyste du Migration Policy Institute, à Washington, note que le pacte ne constitue pas un traité formel et se compare plutôt à une « déclaration d'intention » qui n'est pas contraignante légalement.

Son élaboration, explique-t-elle, a commencé il y a quelques années en réponse à la crise des migrants ayant secoué l'Europe et a fait l'objet d'un long processus de négociation. Seuls les États-Unis s'étaient retirés du processus d'élaboration du texte en décembre 2017 avant son approbation l'été dernier.

Un pacte qui ne fait pas l'unanimité

Au moins une dizaine d'États ont cependant décidé de faire marche arrière par la suite et ont annoncé qu'ils ne se rendraient pas au sommet prévu les 10 et 11 décembre à Marrakech pour signer le pacte.

Plusieurs des pays réfractaires à l'initiative, comme la Hongrie, la Pologne et l'Italie, défendent une politique migratoire restrictive et dénoncent la portée, réelle ou imaginée, des dispositions du document.

Nombre de partis populistes européens multiplient les sorties contre le pacte, dont le Rassemblement national en France, qui évoque dans une pétition un risque de « submersion migratoire ».

Mme Fratzke pense que le document est devenu pour ces partis une occasion de « faire valoir leur point de vue » négatif sur l'immigration et « de prendre action » pour courtiser leur base politique.

Anne Peters, juriste allemande qui a analysé la portée juridique du pacte, a indiqué hier par courriel qu'il ne créait aucun nouveau droit pour les migrants et aucune obligation pour les États allant au-delà de celles qui existent déjà dans le droit international.

Elle pense que les négociations ont largement échappé à l'attention du public et que ce manque de transparence relatif a nui à la compréhension de la portée du pacte, qui ne requiert pas d'approbation parlementaire formelle pour la plupart des États signataires.

Polémique ou pas, la nécessité d'une forme de concertation internationale relativement aux migrations « ne disparaîtra pas », prévient Mme Peters.

***

Les réseaux sociaux riches en fausses nouvelles

De multiples messages critiquant le pacte sur les migrations sur la base d'informations partielles ou fausses circulent sur les réseaux sociaux. L'un des messages ayant largement circulé affirme sans raison que le Canada devra accueillir plus de 240 millions de migrants d'ici 2030 alors qu'on en dénombre actuellement près de 260 millions à l'échelle de la planète. D'autres internautes affirment, là encore sans la moindre preuve, que la France perdra tout contrôle sur sa politique migratoire et passera carrément sous le contrôle des Nations unies après que le président français Emmanuel Macron, qui soutient le pacte, aura annoncé sa démission à Marrakech.