Des agents correctionnels de partout au Canada manifesteront aujourd'hui devant les bureaux des ministres fédéraux Ralph Goodale et Ginette Petitpas Taylor pour réclamer sans délai la suspension du nouveau programme d'échange de seringues en prison, qu'ils considèrent comme une menace sérieuse à leur santé et leur sécurité.

Le Syndicat des agents correctionnels du Canada (SACC) somme Ottawa de freiner la mise en place progressive de son programme d'échange de seringues en prison lancé en mai dernier. « Ça prend un moratoire, il faut arrêter le programme », a affirmé le président régional du SACC-CSN, Frédérick Lebeau, en entrevue à La Presse.

Le Service correctionnel du Canada (SCC) a récemment permis aux détenus des pénitenciers fédéraux d'avoir accès à des seringues propres dans le but de mieux prévenir et prendre en charge les maladies infectieuses à l'intérieur des centres carcéraux canadiens. Depuis juin, le programme est testé dans un établissement pour hommes au Nouveau-Brunswick et dans un établissement pour femmes en Ontario.

Les conclusions de « cette phase initiale » doivent orienter la mise en oeuvre à l'échelle nationale. Le programme pourrait être intégré dans les prisons fédérales du Québec à compter de janvier, selon M. Lebeau.

« Une seringue est une arme potentielle, dénonce-t-il. On craint une hausse des incidents de sécurité et une hausse des surdoses assurément, peut-être même une perte de vie. [...] Ça nous inquiète. »

« ON VA PERDRE LE CONTRÔLE »

Selon les explications fournies au syndicat, un détenu qui le souhaite pourrait adhérer au programme et recevoir une seringue dont il serait responsable.

« On parle vraiment d'injections dans leurs cellules. Ça n'a pas de sens », lance M. Lebeau, ajoutant que le programme risque d'entraîner la circulation des aiguilles entre les détenus, qu'elles soient vendues ou volées. « C'est certain que c'est un privilège qui peut être retiré [...], mais on va assurément perdre le contrôle, on va perdre [le compte des seringues] », croit-il.

Ottawa est plutôt d'avis que le nouveau programme « aidera à faire face au partage de seringues entre les utilisateurs de drogues injectables et facilitera la référence vers les services de santé ». Pour le syndicat, des programmes similaires de distribution de seringues hors les murs d'une prison sont réalistes, mais à l'intérieur, « ça ne fonctionne pas ».

« Nous avons une stratégie antidrogue qui est assez forte, mais là, le gouvernement autorise l'outil. Ça envoie un double message », ajoute M. Lebeau, rappelant que le SCC permet déjà l'accès à des programmes de traitement de la toxicomanie, à des traitements de substitution aux opiacés et à de l'eau de Javel pour désinfecter du matériel artisanal et illégal.

« INUTILE ET DANGEREUX »

Le syndicat s'explique enfin mal la démarche d'Ottawa, pour laquelle il dit ne pas avoir été consulté, alors que la prévalence du VIH a diminué de 2,02 % à 1,2 % dans les prisons fédérales, tandis que la prévalence de l'hépatite C a chuté de 31,6 % à 7,8 % entre 2007 et 2017. « [Ce programme-là] est, selon nous, inutile et dangereux », estime M. Lebeau.

Le SACC promet de rester « mobilisé » pour éviter que le programme ne se fasse au détriment de la santé et de la sécurité de ses membres. Le syndicat réclame d'ailleurs d'être consulté pour sensibiliser Ottawa à ses réticences. Les manifestations prévues aujourd'hui se dérouleront à Regina et à Moncton, un peu avant midi, et n'auront aucun impact sur les services correctionnels.

Photo Pascal Ratthé, Archives Le Soleil

Le Service correctionnel du Canada (SCC) a récemment permis aux détenus des pénitenciers fédéraux d'avoir accès à des seringues propres dans le but de mieux prévenir et prendre en charge les maladies infectieuses à l'intérieur des centres carcéraux canadiens.