Les Canadiens qui admettront avoir déjà consommé de la marijuana et les travailleurs de l'industrie légale du cannabis pourraient se voir refuser l'entrée aux États-Unis, ont averti mardi après-midi les autorités douanières américaines. Les agents auront une « vaste latitude » pour traiter les dossiers au « cas par cas ».

Todd Owen, un commissaire adjoint de la U.S. Customs and Border Protection (CBP), a lancé cette mise en garde aux Canadiens à quelques heures de la légalisation de la marijuana au pays.

« L'usage antérieur de marijuana et l'implication dans l'industrie pourraient vous rendre inadmissible en vertu des lois américaines sur l'immigration, a-t-il indiqué pendant une téléconférence. Nos agents auront une vaste latitude à la frontière pour questionner les voyageurs sur leurs objectifs et leurs intentions pour déterminer s'ils sont admissibles ou pas. »

Pardon judiciaire

Les États-Unis ne reconnaîtront pas non plus systématiquement les pardons judiciaires octroyés aux Canadiens qui ont déjà été inculpés pour possession simple de cannabis, si l'on se fie à M. Owen. 

« Nous ne reconnaissons pas l'amnistie canadienne, a-t-il indiqué. Si vous avez été sujet à une violation des lois américaines, vous serez encore considéré inadmissible dans notre pays. »

Lois inchangées

Les autorités douanières américaines insistent : les lois fédérales des États-Unis sur les drogues n'ont pas changé, même si le Canada a décidé d'assouplir les siennes.

« La marijuana est toujours vue comme une substance narcotique illégale en vertu des lois fédérales, a lancé Todd Owen. La possession d'un tel narcotique à la frontière sera passible d'une arrestation et de poursuites, ou de poursuites différées, et vous êtes sujets à une amende de 5000 $. »

Le refus de répondre à toute question d'un agent des services frontaliers pourrait aussi rendre les voyageurs canadiens inadmissibles aux États-Unis, a-t-il averti. Il recommande fortement aux voyageurs de dire la vérité.

« Vous ne voulez certainement pas mentir quand vous êtes questionnés par un agent, a lancé Todd Owen. Les voyageurs doivent convaincre les officiers qu'ils ont des raisons crédibles de visiter le pays. »

Usage récréatif

Les Canadiens, qui pourront légalement acheter jusqu'à 30 grammes de marijuana, ne devraient pas être questionnés davantage qu'auparavant sur leur usage récréatif. 

Mais les officiers auront « une vaste latitude » pour interroger les voyageurs à leur guise s'ils détectent des signes d'un usage excessif de drogue, a précisé M. Owen. « L'admission d'un usage illégal de drogue peut rendre quelqu'un inadmissible aux États-Unis. »

Les officiers pourront faire une distinction entre la marijuana consommée avant et après la légalisation, lorsqu'ils analyseront le dossier d'un voyageur.

Travailleurs du pot

Les milliers de travailleurs de la jeune industrie canadienne du cannabis, par exemple des employés impliqués dans la vente en magasin ou dans la production, seront évalués au « cas par cas » lorsqu'ils tenteront d'entrer aux États-Unis.

« Cela dépendra de leur rôle dans leur compagnie et du but de leur visite aux États-Unis », a expliqué Todd Owen.

Ottawa savait

Le gouvernement de Justin Trudeau, qui a fait de la légalisation du cannabis l'une de ses principales promesses électorales, ne s'attendait pas à une clémence particulière des autorités américaines après la légalisation.

Un haut fonctionnaire de Justice Canada, qui participait à une séance de breffage avec des représentants de plusieurs ministères fédéraux tenue mardi matin, a confirmé à La Presse qu'Ottawa n'avait obtenu aucune garantie de Washington en ce sens.

« On a eu plusieurs discussions, mais on pense qu'au final, les États-Unis sont un pays souverain et vont appliquer les règles qui les intéressent », a-t-il indiqué à condition de ne pas être nommé.

« Si les États-Unis décident de limiter l'accès à leur pays à des employés de compagnies de cannabis, ça va être leur choix, a-t-il poursuivi. Ça va être la même chose que des gens qui admettent avoir consommé du cannabis. »

Nouvelle question au Canada

En parallèle, les voyageurs qui entrent au Canada doivent s'attendre à se faire poser systématiquement une nouvelle question dès mercredi matin : « Est ce que vous entrez avec du cannabis ou des produits qui contiennent du cannabis au Canada ? »

Un haut fonctionnaire de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a confirmé à La Presse que cette question serait désormais posée à tous les points d'entrée au pays, qu'ils soient terrestres ou aériens.

« C'est une façon de s'assurer que les gens seront en conformité avec la loi », a-t-il  expliqué.

Entrée et sortie illégales

Bien que le cannabis sera légal partout au Canada, avec la possibilité de posséder jusqu'à 30 grammes par adulte, il demeurera illégal de tenter d'entrer ou de sortir du pays avec cette substance, a-t-on rappelé.

La nouvelle question de l'ASFC sera posée de vive voix par les agents douaniers, et elle sera aussi ajoutée dans les bornes douanières libre-service qu'on retrouve dans les aéroports du pays, comme à Montréal-Trudeau.

Zones grises

Le gouvernement fédéral mène en quelque sorte un blitz médiatique pour tenter de démystifier les nombreuses zones grises qui persistent à quelques heures de la légalisation du cannabis.

Les inquiétudes restent vives, comme en témoignent une série de sondages, d'études et de mises en garde médicales publiées au cours des derniers jours. 

Une enquête menée pour le compte de la Fondation Jean Lapointe révèle notamment que 76% des parents d'adolescents québécois sont « inquiets » de la légalisation, et 35%, « très inquiets ».

Blitz médiatique

Des fonctionnaires d'une série de ministères et d'agences gouvernementales prenaient part à la séance de breffage organisée mardi matin à Ottawa, soit Santé Canada, Sécurité publique, la Gendarmerie royale du Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada, Justice Canada, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, et Emploi et Développement social Canada.

Armés de gros cartables, ils ont tenté de répondre pendant une heure aux nombreuses questions des journalistes, à la condition de ne pas être nommés. Plusieurs se lançaient la balle de ministère en ministère, ou référaient les journalistes vers des ministères absents de la rencontre.

Campagne de prévention

Un responsable de Santé Canada a indiqué qu'une nouvelle campagne publicitaire sera mise en branle dès mercredi pour faire davantage de prévention sur les méfaits du cannabis. 

Le gouvernement fédéral a alloué 108 millions de dollars à cette fin dans ses deux derniers budgets, mais il n'est pas clair si la nouvelle campagne sera financée à même cette enveloppe. 

Des représentants canadiens se sont rendus dans plusieurs États américains où le cannabis est légal afin d'apprendre de leur expérience, a indiqué ce fonctionnaire. Les « jujubes » et autres formes de marijuana comestibles ont notamment créé des problèmes au Colorado, a-t-il confié.

Cette forme de cannabis ne deviendra pas légale cette semaine, mais elle doit être autorisé dans la deuxième phase de mise en oeuvre de la légalisation au Canada, dans un an.

Marché noir

Parmi les nombreux changements législatifs décrétés dans le cadre de la légalisation, les peines d'emprisonnement liées à la vente de cannabis à des jeunes ont été fortement augmentées, pour atteindre jusqu'à 14 ans.

Ces peines s'appliqueront également aux adultes qui tenteraient de recourir à un adolescent pour faire le trafic de marijuana.

L'objectif avoué d'Ottawa est de donner un coup dur au marché noir, un objectif qui pourrait être difficile à atteindre. La production légale de pot sera nettement inférieure à la demande au cours de la première année, et les revendeurs ont déjà commencé à baisser leur prix de façon draconienne pour affronter le pot légal.

La mise en oeuvre de la légalisation risque de poser de nombreux casse-têtes, alors que les provinces et les municipalités adopteront toutes des façons de faire différente sur l'âge minimal et sur les lieux où la consommation sera permise.

Le Québec pourrait devenir la province la plus restrictive si le nouveau gouvernement de la Coalition Avenir Québec fait bel et bien passer de 18 à 21 ans l'âge minimal pour acheter du pot. 

Ce relèvement de l'âge pourrait permettre au marché noir de prospérer auprès de cette jeune clientèle, réputée friande de marijuana.