La Ville de Toronto demande au gouvernement fédéral de révoquer toute loi ontarienne qui réduirait la taille du conseil, alors que les fonctionnaires municipaux préviennent qu'il sera pratiquement impossible de tenir des élections justes et équitables le 22 octobre - dans moins de six semaines.

Les conseillers municipaux ont voté en faveur de cette requête à Ottawa lors d'une séance d'urgence à l'hôtel de ville, jeudi. La veille, le premier ministre Doug Ford avait présenté à nouveau son projet de loi, invalidé lundi par la Cour supérieure, en invoquant cette fois la disposition de dérogation de la Charte canadienne des droits et libertés.

Une disposition de la Constitution autorise techniquement le gouvernement fédéral à abroger une loi provinciale, mais cette disposition n'a pas été utilisée depuis 1943, et certains juristes croient qu'elle pourrait bien être obsolète.

Par ailleurs, le premier ministre Justin Trudeau a clairement indiqué plus tôt cette semaine qu'il n'empêcherait pas le gouvernement de l'Ontario d'utiliser la disposition de dérogation pour aller de l'avant avec son projet de réduire la taille du conseil municipal de Toronto.

La Ville a contesté la validité du projet du gouvernement Ford, et un juge de la Cour supérieure a conclu lundi que l'adoption du projet de loi en pleine campagne électorale municipale violait les droits à la liberté d'expression des électeurs et des candidats. M. Ford a aussitôt annoncé qu'il utiliserait la disposition de dérogation pour surseoir à la décision du tribunal et à certains articles de la Charte des droits ; il a aussi annoncé que son gouvernement ferait appel de la décision du tribunal.

Le premier ministre Ford, qui avait été défait dans la course à la mairie de Toronto en 2014, souhaite faire passer de 47 à 25 le nombre de districts à Toronto, en calquant la carte électorale fédérale. La disposition de dérogation n'a jamais été utilisée en Ontario, et plusieurs condamnent le recours à cette mesure d'exception, affirmant que l'article 33 n'a pas été inscrit dans la Charte pour traiter ce genre de problème.

« Un seuil critique »

De son côté, la secrétaire de la Ville de Toronto, Ulli Watkiss, a prévenu que tout retard résultant de cette bataille nuit à sa capacité à assurer l'équité du scrutin, quel que soit le découpage de la carte électorale. « Nous avons atteint un seuil critique, a déclaré Mme Watkiss aux conseillers municipaux. Les deux scénarios [de carte électorale] deviennent pratiquement impossibles à réaliser. »

Le ministre des Affaires municipales, Steve Clark, a estimé quant à lui que les Torontois pourront se rendre aux urnes comme prévu dans moins de six semaines. « Je suis convaincu que mon ministère et le secrétariat [de la Ville] seront en mesure de régler tous les problèmes et pourront organiser des élections le 22 octobre », a-t-il déclaré à l'Assemblée législative. Interrogé à plusieurs reprises, M. Clark n'a toutefois pas précisé si la province disposait d'un plan B au cas où la secrétaire de la Ville ne serait pas prête à temps.

Les partis de l'opposition à Queen's Park ont juré d'utiliser tous les moyens nécessaires pour retarder le plus longtemps possible les procédures législatives. Le projet de loi a été adopté en première lecture, et le leader conservateur à l'Assemblée législative a estimé qu'il devrait être adopté au cours de la semaine du 24 septembre.

Le maire de Toronto, John Tory, a quant à lui qualifié d'« inacceptable » le projet du gouvernement Ford. « Cette dérogation à la Charte des droits et libertés soulève de très sérieuses questions dans un dossier comme celui-là et des questions encore plus importantes sur des enjeux extrêmement importants, que nous ne pourrions même pas envisager aujourd'hui », a déclaré M. Tory à l'hôtel de ville. « Nous sommes tous là pour défendre Toronto, et je sais que nous sommes tous prêts à continuer à le faire parce que nous croyons en cette ville. »

Alors que les conservateurs provinciaux et les conseillers municipaux réfléchissaient à leurs options, les maires des grandes villes canadiennes ont appuyé Toronto dans sa lutte. « Jamais une province canadienne n'avait utilisé la disposition de dérogation pour modifier la taille d'un conseil municipal en pleine campagne électorale », indique dans un communiqué Don Iveson, président du caucus des maires des grandes villes de la Fédération canadienne des municipalités.

Par ailleurs, les 25 députés libéraux fédéraux de l'Ontario, dont plusieurs ministres, ont tous dénoncé le recours « irrespectueux » à la disposition dérogatoire. Dans un communiqué, ils appellent les députés provinciaux de la grande région de Toronto, peu importe leur parti, à voter contre ce projet de loi.