Dans quelles conditions vivent les demandeurs d'asile qui sont actuellement hébergés dans des résidences financées par l'État ? La question semble simple, mais il est impossible d'y répondre. Le gouvernement refuse catégoriquement l'accès aux médias, une décision qui préoccupe des organismes veillant sur le sort des demandeurs d'asile, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et Reporters sans frontières.

Il y a trois ans, les ambulances arrivaient en trombe dans la petite cour de béton qui donnait accès aux urgences du Royal-Victoria. Aujourd'hui, ce même petit quadrilatère sert d'aire de repos et de jeu aux familles de demandeurs d'asile qui sont hébergées temporairement dans l'ancien hôpital. Un agent de sécurité monte la garde devant une clôture en fer forgé.

Dans quel état sont les locaux de l'ancien établissement de santé, fermé en 2015 après 122 ans de service puis rouvert aux demandeurs d'asile l'été dernier ? Est-ce que les résidants y sont convenablement logés, nourris, soignés ? Les fonds déboursés par l'État sont-ils utilisés de manière judicieuse ?

La Presse a voulu visiter les installations financées par le ministère de la Santé et des Services sociaux après avoir reçu des témoignages peu élogieux de demandeurs d'asile qui y ont séjourné récemment.

Ces derniers ont noté que le mobilier y était très rudimentaire - des civières de la Croix-Rouge servent de lits - et que le bâtiment, malgré des rénovations, est en mauvais état.

Les demandeurs d'asile interviewés ont tous passé près d'un mois avec leurs enfants dans l'ancien Royal-Victoria après leur arrivée au Canada. En tout, la résidence compte 107 chambres dans lesquelles sont réparties 500 civières. Elle abrite actuellement 193 personnes.

Le YMCA reçoit du gouvernement un budget de 44 $ par jour et de 24 $ pour les enfants pour héberger et nourrir les résidants. Ainsi, pour une famille de quatre, le YMCA reçoit 136 $ par chambre pour une journée, 4080 $ par mois. Sur Airbnb, on trouve des appartements de luxe meublés au centre-ville pour la moitié de cette somme.

DÉDALES ADMINISTRATIFS

Pour vérifier les allégations des demandeurs d'asile, nous avons d'abord demandé l'accès aux YMCA du Québec, l'organisme qui gère la résidence temporaire, puis au centre intégré universitaire en santé et services sociaux (CIUSSS) du Centre-Ouest-de-l'Île-de-Montréal, qui a mandaté le YMCA. La requête a été refusée. « L'accès aux sites d'hébergement temporaires est autorisé uniquement à la clientèle et aux employés qui y travaillent, et ce, en tout temps. Cette décision s'explique pour des raisons de confidentialité et du fait que ces sites sont des milieux de vie », a écrit la responsable des relations avec les médias et des affaires politiques du CIUSSS, Emmanuelle Paciullo. La directive s'applique aussi aux trois autres centres qui hébergent des demandeurs d'asile à Montréal.

La Presse a fait valoir qu'il n'était pas question de porter atteinte à la confidentialité des résidants - nous devons obtenir le consentement des individus avant de les interviewer - et que dans ce cas-ci, nous demandions à voir les installations et non à interroger des demandeurs d'asile. En vain.

D'autres démarches auprès du ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) et de celui de la Santé et des Services sociaux ont aussi fait chou blanc.

Lorsque nous avons évoqué la nécessité de transparence et de reddition de comptes, nous nous sommes heurtés à la même réponse : « La confidentialité et la sécurité de notre clientèle demeurent essentielles », a écrit Mme Paciullo après nos demandes répétées.

SITUATION DÉNONCÉE PAR LA FPJQ

Ce blocage complet d'information et ce refus d'accès hérissent la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). « Ce n'est pas acceptable. Ça fait des années que la FPJQ dénonce le secret qu'entretient le gouvernement du Québec. Ces installations sont payées par les contribuables et les citoyens ont le droit de savoir dans quelles conditions les demandeurs d'asile sont hébergés. », tonne le président de l'organisation, Stéphane Giroux.

« Les journalistes ont accès à des camps de réfugiés même dans des pays dictatoriaux et ici, on dit non ? Ça n'a pas de sens. »

- Stéphane Giroux, président de la FPJQ

« On a trouvé comme excuse la question de la confidentialité, mais c'est surtout un obstacle à la liberté de la presse. Même aux États-Unis, où le gouvernement est dans l'embarras après avoir séparé les enfants et les parents migrants, les journalistes ont pu visiter les centres de détention et on a vu les enfants dans des cages. Ici, soit le gouvernement fait un excès de pudeur, soit il a quelque chose à cacher », conclut Stéphane Giroux.

La directrice générale de Reporters sans frontières en Amérique du Nord, Margaux Ewen, estime aussi que la position gouvernementale est injustifiable.

« Nous trouvons préoccupant que des journalistes ne puissent pas voir des installations destinées aux demandeurs d'asile, et ce, même s'il y a des plaintes. La presse doit pouvoir exercer son métier en tant que service public qui couvre la question des demandeurs d'asile et des réfugiés », a ajouté Mme Ewen, jointe à Washington.

DES ONG ÉGALEMENT REFUSÉES D'ACCÈS

Les journalistes ne sont pas les seuls à se cogner le nez à la porte des quatre résidences pour demandeurs d'asile, où sont actuellement hébergées près de 1000 personnes, selon les statistiques du MIDI. « J'ai voulu visiter le centre d'hébergement au Stade olympique et on m'a refusé l'accès. Je me suis planté à la porte et j'ai parlé aux demandeurs d'asile qui sortaient et il y avait beaucoup d'insatisfaction », a dit à La Presse Sylvain Thibault, coordonnateur de projet à la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

« Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible de visiter ces installations », a dit pour sa part Janet Dench, du Conseil canadien des réfugiés.

« N'importe qui ne devrait pas pouvoir rentrer dans ces hébergement, mais une fois qu'on explique la raison de la visite, ça devrait être permis. Il faut rendre plus transparentes les conditions dans lesquelles ces gens-là sont hébergés. »

- Stephan Reichhold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI)

Au cours de nos démarches, personne n'a pu confirmer que les résidences gérées par le YMCA sont inspectées de manière indépendante. Action réfugiés, qui visite les centres de détention pour immigrants, n'a jamais mis les pieds à la résidence du Royal-Victoria. Idem pour le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) qui, à la suite de notre appel, a décidé de demander l'accès.

En règle générale, le HCR donne accès aux journalistes dans les installations qui sont sous sa supervision, que ce soit en Afrique, en Asie ou encore au Moyen-Orient. « Lors de nos opérations, nous avons des agents d'information publique et des employés qui s'occupent des communications. Nous demandons aux journalistes de travailler avec eux. Nous demandons aussi aux journalistes de respecter certaines sensibilités, pas tout le monde n'a envie de raconter son histoire, mais en général, nous donnons accès aux reporters. Nous croyons que c'est important afin de sensibiliser le public à la réalité des réfugiés », dit John Cockell, chef des communications stratégiques au HCR Canada.

Quelques règles que doivent suivre les demandeurs d'asile hébergés dans une résidence du YMCA 

1. Il n'est pas permis de rapporter de la nourriture de l'extérieur. 

2. La consommation d'alcool et de drogue est interdite et peut entraîner la fin du séjour. 

3. Le couvre-feu est à 23 h 30, après quoi l'entrée à la résidence est interdite. 

4. Les enfants de moins de 12 ans doivent être accompagnés d'un adulte en tout temps. Aucun enfant ne doit être dans les espaces communs de 22 heures à 6 heures. 

5. Les clients qui s'absentent pendant 24 heures perdent leur privilège d'hébergement.

6. Les résidents doivent garder la chambre propre, mais ne peuvent modifier l'agencement ou déplacer les meubles.