«Je pense que je vais sortir d'ici morte. (...) Je ne dors pas, je ne mange pas, je ne peux pas être tranquille; je veux juste sortir.»

C'est d'une voix faible, entrecoupée de pleurs et de sanglots, que Lucy Fancineth Granados s'est très brièvement adressée aux journalistes par téléphone depuis sa cellule du Centre de surveillance de l'immigration de Laval, jeudi, pour demander de l'aide.

Mme Granados, une Guatémaltèque sans-papiers, a été arrêtée le 20 mars par les agents des services frontaliers en vue de sa déportation, qui devait avoir lieu la semaine suivante, mais qui a été reportée en raison de l'hospitalisation d'urgence de la mère monoparentale de 42 ans.

Des proches de Mme Granados avaient convoqué la presse jeudi matin pour annoncer qu'ils déposeront prochainement une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) pour dénoncer le comportement qu'ils estiment abusif de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et le traitement qu'elle subit actuellement.

Elle est toujours détenue et sa déportation est maintenant prévue le 13 avril, malgré le fait que sa demande de résidence permanente n'ait pas encore été entendue et qu'une demande de sursis soit toujours en attente aux bureaux des ministres de l'Immigration, Ahmed Hussen, et de la Sécurité publique, Ralph Goodale, qui n'ont pas donné signe de vie jusqu'ici.

Sa santé précaire a nécessité deux hospitalisations d'urgence depuis son arrestation et préoccupe notamment les professionnels de la santé qui ont eu à la traiter.

Force abusive

Lors d'une conférence de presse annonçant le dépôt de la plainte, les représentants d'organismes de défense des immigrants ont reproché à l'Agence des services frontaliers d'avoir utilisé une force abusive et disproportionnée lors de l'arrestation de Mme Granados, qui a été blessée au bras et à la gorge.

Celle-ci affirme avoir été prise de panique à l'arrivée des agents et ceux-ci, interprétant son comportement comme une tentative de s'enfuir, ont cherché à la maîtriser.

«Je vois un gouvernement qui est davantage préoccupé par le présumé risque de fuite présenté par une mère de trois enfants de 42 ans que préoccupé par sa santé, alors qu'elle a dû recevoir des soins d'urgence trois fois en moins d'une semaine», a déploré Alonso Gamarra, un ami de Lucy Granados.

Amy Darwish, de l'organisme Solidarité sans frontières, a précisé que la plainte à la CDPDJ reproche également à l'Agence fédérale d'avoir agi en contravention des lois lorsqu'un de ses représentants a téléphoné à Mme Granados en janvier dernier pour lui dire que son dossier de demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires - le seul moyen pour elle de régulariser son statut - ne serait pas ouvert si elle ne se rendait pas pour faire face à une potentielle arrestation et la déportation.

«Non seulement était-ce une fausse menace - son dossier était déjà ouvert -, mais il est important de souligner qu'il s'agit d'une fausse interprétation de la loi, qui oblige le ministre à se pencher sur toutes les demandes de cette nature», a-t-elle affirmé.

Les auteurs de la plainte dénoncent de plus le fait que la dame de 42 ans ait eu les pieds enchaînés lors de son séjour à l'hôpital, malgré la présence de deux agents des services frontaliers, et qu'on lui ait interdit de recevoir des visiteurs ou de faire des appels, notamment à son avocat.

L'ASFC: «plusieurs décès sur les mains»

Présente à la conférence de presse, la docteure Nazila Bettache, spécialiste en médecine interne au CHUM, a fait état d'un bilan de santé préoccupant, possiblement marqué par un arrêt cardio-respiratoire avant la première hospitalisation et d'un diagnostic de trouble de stress aigu avec un risque de trouble de stress post-traumatique.

«L'impact de la détention des personnes migrantes sur leur santé physique et mentale est dramatique», a fait valoir la spécialiste, se disant d'avis que le système d'immigration «est en train d'empirer la situation de santé de Mme Granados».

La docteure Bettache est allée beaucoup plus loin en parlant des pratiques de détention de l'ASFC: «L'Agence des services frontaliers est une institution qui a sur les mains, j'ai envie de dire, plusieurs décès de personnes migrantes. Au Canada, on sait qu'il y a plusieurs personnes qui sont décédées dans des conditions de détention qui demeurent très, très, très mystérieuses.»

Lucy Granados est arrivée au Canada en 2009, réclamant le statut de réfugiée et se disant menacée de mort par un gang criminel au Guatemala, mais ce statut lui a été refusé en 2012 par la Commission de l'immigration.

Elle avait alors décidé de demeurer au pays, malgré un ordre d'expulsion, ce qui la condamnait à la clandestinité.

En septembre dernier, Lucy Fancineth Granados a cherché à régulariser son statut en faisant une demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires.

En janvier, un agent des services frontaliers a avisé l'avocate de Mme Granados que sa demande de résidence permanente ne serait pas ouverte à moins qu'elle ne se présente pour être arrêtée et expulsée.

Les proches de Lucy Granados font valoir que la menace était fausse, puisque le dossier était déjà bel et bien ouvert et qu'il s'agissait d'une fausse représentation de la loi dans l'unique but de la localiser et de procéder à son arrestation.

Jeudi après-midi, l'ASFC a indiqué ne pas être en mesure de répondre aux questions de La Presse canadienne dans l'immédiat.