Quelques mois après que le gouvernement fédéral eut qualifié le placement des enfants autochtones à l'extérieur de leur communauté de «crise humanitaire», une nation autochtone du Québec signe une entente historique et unique au pays qui lui donnera le plein contrôle des services de protection de la jeunesse.

La Nation atikamekw sera la seule au Québec, voire au Canada, à détenir de tels pouvoirs sur des enfants qui sont pourtant les siens.

«Trop souvent, nos enfants se font enlever de leur communauté et amener dans des endroits où ils ne se reconnaissent pas. Cela met en danger notre culture. Cela met en danger notre langue. Mais plus encore, cela met en danger l'identité de ces enfants», expliquait cet après-midi le grand chef Constant Awashish, lors de la signature de l'entente à La Tuque.

L'événement «que la nation n'oubliera jamais» était retransmis en direct. Preuve de son importance, trois ministres du gouvernement provincial, un maire ainsi qu'un représentant du gouvernement fédéral s'étaient déplacés.

Crise humanitaire

Les services de protection de la jeunesse offerts aux communautés autochtones de tout le Canada font l'objet de vives critiques, critiques qui se sont intensifiées au cours des derniers mois.

Selon Statistiques Canada, la moitié des enfants de moins de 14 ans sous protection de la jeunesse au pays proviennent des premières nations ou des communautés inuites. Ils forment pourtant moins de 10% de la population canadienne de ce groupe d'âge.

En novembre, la ministre fédérale des Services aux autochtones Jane Philpott a qualifié de «crise humanitaire» la situation des enfants autochtones qui sont actuellement pris en charge par le système.

La semaine dernière, elle a tenu une réunion d'urgence sur la question à Ottawa à laquelle a participé le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador Ghislain Picard.

Une première

Au Québec, ce sont les directeurs de la protection de la jeunesse qui gèrent la prise en charge et le placement des enfants autochtones vivant sur leur territoire. Si plusieurs nations ont réussi à obtenir certains pouvoirs, plus ou moins grands, dans la gestion des services de protections de l'enfance au fil des ans, aucune, jusqu'à ce jour, n'avait obtenu l'autonomie.

Dans le cadre de l'entente entre Québec et les Atikamekw, toutes les responsabilités de la DPJ sont confiées à des instances autochtones, a expliqué la ministre déléguée à la Protection de la jeunesse, Lucie Charlebois. Le projet ouvre aussi la porte à une gestion différente des dossiers d'enfants en difficulté que celle qui est prévue par la Loi sur la protection de la jeunesse «afin de prendre en considération les valeurs, la culture et le mode de vie des Autochtones».

«On va continuer de collaborer avec la DPJ. On va partager nos expertises, mais maintenant, on est dans le siège du conducteur », explique en entrevue téléphonique le Grand Chef Awashish.

Depuis 20 ans déjà, sa communauté milite pour obtenir plus de pouvoirs sur l'avenir de ses enfants. On a notamment créé, dans les années 90, un système d'intervention atikamekw «basé sur la façon de penser atikamekw», qui gérait un certain nombre de dossiers et militait activement pour que chaque enfant retiré à ses parents soit placé au sein de sa communauté. «Mais on était à la merci de la DPJ. Ils regardaient les dossiers et décidaient s'ils voulaient nous les donner. Ils pouvaient nous enlever le dossier n'importe quand. Plus maintenant», se réjouit Constant Awashish.