Presque deux ans après sa fermeture, le consulat de Syrie à Montréal va rouvrir... dans le bureau d'un consultant en immigration. La Presse a appris que les réfugiés syriens qui veulent recevoir des services de leur consul devront se présenter au bureau du consultant en immigration Raed Mahko, qui vient d'être nommé représentant du régime al-Assad.

La situation soulève des craintes de conflit d'intérêts de la part de la Table de concertation qui coordonne l'intégration des réfugiés, ainsi que du côté des avocats en droit de l'immigration. Dans les dernières années, il a lui-même eu plusieurs clients syriens, selon une recherche dans une banque de données juridique.

M. Mahko, que La Presse n'a pas pu joindre parce qu'il se trouve actuellement en Syrie, a déjà été épinglé par l'émission Enquête, en 2009 : il expliquait devant une caméra cachée qu'il offrait un service pour simuler la présence de ses clients étrangers au Canada, afin que ceux-ci puissent obtenir un passeport canadien. Confronté, il a ensuite nié.

Le gouvernement du Canada avait retiré sa reconnaissance de la précédente consule honoraire et avait demandé la fermeture du consulat à Montréal en février 2016, selon une lettre publiée à l'époque par Radio-Canada. Après la fermeture forcée de l'ambassade syrienne en 2012 dans la foulée d'exactions commises par le régime, il s'agissait du seul bureau à desservir tout l'est du Canada et des États-Unis : le seul autre consulat syrien se trouve à Vancouver.

DÉJÀ SUR LES LISTES

Un décret de nomination datant du 7 janvier dernier et signé par Bachar al-Assad nomme Raed Mahko comme consul honoraire de Syrie au Canada. Une semaine plus tard, son nom est déjà ajouté aux listes fédérale et provinciale des représentants de gouvernements étrangers.

Traditionnellement, les consuls honoraires offrent leurs services à partir de leur maison ou de leur bureau.

Ce sera le cas pour Raed Mahko, selon un employé de son bureau qui s'est identifié comme « Nadim » et n'a pas voulu fournir son nom de famille. C'est aussi l'adresse de son bureau de consultant, sur le boulevard Lebeau à Saint-Laurent, qui est inscrit comme bureau de consul honoraire dans la liste du ministère québécois des Relations internationales.

M. Nadim a confirmé que les deux activités (consultant et consul) seraient menées de front dans le même bureau. Interrogé sur les craintes d'un conflit d'intérêts, M. Nadim a ensuite nuancé en affirmant que M. Mahko était bien toujours inscrit comme consultant, mais qu'il suspendrait ses activités de consultant pour éviter de telles situations.

INQUIÉTUDES

La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) a affirmé que l'ouverture d'un consulat dans les bureaux d'un consultant en immigration était « troublant ».

Stephan Reichhold, de la TCRI, a indiqué que beaucoup de réfugiés syriens et d'autres immigrants du même pays devaient entrer en contact avec les représentants de leur pays d'origine. « Ils ont souvent besoin de documents, d'actes de naissance... », a-t-il expliqué. Des services qu'offre habituellement un consul honoraire.

Il a indiqué que les Syriens récemment installés au Canada intéressaient déjà beaucoup de consultants en immigration. 

« Surtout pour la réunification familiale. Il y a énormément de Syriens qui tentent d'emmener leur famille au Canada », a dit Stephan Reichhold, directeur général de la TCRI.

« Je crois qu'il y a un potentiel d'apparence de conflit d'intérêts [...], mais aussi un potentiel de réel conflit d'intérêts », a affirmé en entrevue Barbara Jo Caruso, présidente de la section du droit de l'immigration de l'Association du Barreau canadien (ABC). Elle s'est dite d'autant plus inquiète que les consultants en immigration n'ont à son avis « essentiellement pas de processus disciplinaire » pour les régir.

L'avocat en immigration Stéphane Handfield n'a pas voulu se prononcer sur ce cas en particulier, mais il a lui aussi indiqué qu'une telle situation pouvait soulever des craintes de conflit d'intérêts. « Les activités sont assez connexes », a-t-il dit. « Les consulats comme les ambassades sont en relation avec les autorités de l'immigration canadienne à plusieurs niveaux. »

Affaires mondiales Canada et le ministère québécois des Relations internationales n'ont pas rappelé La Presse. M. Mahko n'a pas répondu à un courriel de La Presse. Selon son bureau, il n'est pas possible de le joindre en Syrie.

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PRÉCISION

Suite à la publication de ce texte dans La Presse du 16 janvier 2018, l'avocat de M. Raed Mahko, consul de la Syrie à Montréal, nous a transmis une lettre dans laquelle il indique que, selon son client, il ne serait pas le « représentant du régime al-Assad », mais plutôt le « représentant de la République Arabe Syrienne ». Par l'entremise de son avocat, M. Mahko affirme également que la « Canadian Society for Immigration Consultants » aurait effectué une enquête concernant les allégations selon lesquelles il aurait offert un service pour simuler la présence de ses clients étrangers au Canada qui n'aurait abouti à aucune procédure ou mesure disciplinaire à son endroit. M. Mahko nous a informés qu'il aurait pris la décision de se retirer de tous les dossiers où il représente des ressortissants syriens, et ce, dès sa nomination en tant que consul honoraire. Il soumet aussi qu'en tant que consul honoraire, il n'aurait pas le pouvoir de délivrer des actes de naissance. Enfin, dans une lettre signée par son directeur général Dory Jade, l'Association canadienne des conseillers professionnels en immigration a tenu à clarifier que, selon elle, « un Code d'éthique professionnelle assujettit les consultants [en immigration] à un comportement exemplaire et le CRCIC dispose d'un processus disciplinaire qui comporte un Comité des plaintes, un Comité de discipline et un Comité d'appel ».