Après des années passées sous le joug du groupe armé État islamique (EI), au moins quatre Montréalaises souhaitent revenir au Canada avec leurs enfants nés chez les djihadistes, a appris La Presse. Ce n'est que le début de la vague, prévient un expert.

Comment accueillir ces revenantes ? Alors que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) est en pleine course contre la montre, Justin Trudeau ne se fait pas apôtre de la ligne dure, prônant plutôt la « déprogrammation ».

L'épineuse question du retour au Canada des émules de l'EI se posait de manière de plus en plus pressante récemment. Elle a pris une tournure plus concrète, hier, avec le cas de cette Montréalaise, mère de deux enfants, qui a officiellement entrepris des démarches pour rentrer au pays. La première d'une série, prévient Phil Gurski, ancien analyste au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Le Toronto Star et La Presse ont raconté l'histoire hier. La femme, qui a quitté secrètement le Canada pour la Syrie en 2014 avec une autre adolescente, a réussi à fuir les territoires de l'EI avec ses deux filles. Sa famille a pris contact avec un avocat de Toronto afin de l'aider à rentrer au pays.

PAS LA SEULE

Selon nos informations, le cas de cette jeune femme n'est pas unique. À Montréal, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence est en contact avec les familles de trois autres femmes qui ont manifesté à leurs proches leur désir de rentrer à la maison au cours des derniers mois. Elles sont toutes devenues mères durant leur séjour avec l'EI. L'une d'elles a eu deux enfants.

Les familles n'ont pas pris contact avec la police, et les femmes ne se sont pas adressées aux services consulaires ni aux forces de la coalition sur le terrain par crainte de se faire arrêter, explique le directeur du centre, Herman Deparice-Okomba, qui ajoute que les familles peinent à obtenir de l'information. Elles seraient cachées quelque part près de la frontière irako-syrienne. L'une d'elles a demandé de l'argent à ses proches pour faciliter ses démarches.

Avec ces cas concrets, le retour des femmes et de leurs enfants vient de passer de la théorie à la pratique pour Ottawa.

Faut-il les envoyer en prison ? Qu'adviendra-t-il de leurs enfants, des Canadiens à part entière par la loi puisqu'ils sont nés d'un parent canadien ?, précise l'avocat spécialiste en immigration Stéphane Handfield.

Dans le dossier de la Montréalaise qui attend son rapatriement, deux sources proches du dossier, qui ne sont pas autorisées à parler publiquement, racontent que la GRC travaille à vitesse grand V pour amasser la preuve suffisante pour l'arrêter à son retour. La DPJ est impliquée dans le dossier.

Une source gouvernementale explique qu'à plus grande échelle, le but premier sera de recueillir assez de preuves pour pouvoir accuser ces jeunes femmes devant le tribunal. Lorsque ça ne sera pas possible, on les mettra sous surveillance, selon leur degré de dangerosité. Toutes seront systématiquement interrogées à leur arrivée au pays, assure-t-on.

TRUDEAU PRESSÉ D'ADOPTER LA LIGNE DURE

Cela tranche avec les déclarations du premier ministre Trudeau, hier, à la Chambre des communes.

Le sujet a donné lieu à des échanges acrimonieux entre Justin Trudeau et le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer. S'appuyant sur une analyse du SCRS de 2015 selon laquelle les combattants djihadistes revenant au Canada représentent « une menace réelle pour le Canada », M. Scheer a pressé le gouvernement d'adopter la ligne dure, sans exception.

Ces propos ont piqué au vif M. Trudeau, qui dit croire qu'il ne faut pas abandonner l'espoir de « déprogrammer » les ressortissants canadiens qui ont adhéré à l'idéologie djihadiste.

Une source confidentielle citée précédemment note que le gouvernement libéral tient particulièrement à la réhabilitation des jeunes mères.

Phil Gurski voit les choses autrement. « Il y a des gens qui disent que les femmes sont vraiment innocentes. Je ne vois pas ça du tout. Ça ne veut pas dire qu'on devrait les accuser ou les amener en cour, mais ce ne sont pas des victimes. Ce sont des femmes qui sont parties du Canada pour rejoindre un groupe comme l'EI. »

Que faire, alors ? « Ça dépend des cas. Certaines ont vraiment commis des crimes, peut-être des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre. Le problème, c'est comment on le prouve. Elles vont toutes dire qu'elles n'ont rien fait. Qu'elles ont voyagé parce que leur chum a promis de créer un État islamique. Qu'une fois sur place, elles ont vu que ce n'était pas ça. Qu'elles ont fait une erreur. »

QUE FERA LA GRC ?

Dans un courriel envoyé à La Presse, la GRC a rappelé que le seul fait « de se rendre à l'étranger dans un dessein terroriste constitue une infraction au Code criminel ».

Le corps de police a refusé de commenter les enquêtes en cours, mais nous a envoyé une déclaration qui démontre son intention d'amener les ex-membres de l'EI devant le tribunal.

« La GRC s'emploie à atténuer la menace posée par les personnes qui se livrent à des activités terroristes et à mener des enquêtes criminelles en vue de les traduire en justice. Bien que la GRC se concentre sur l'atténuation des menaces et le soutien des enquêtes criminelles, elle reconnaît que toutes les personnes rentrant d'Iraq ou de Syrie ne présentent pas le même niveau de menace : certaines sont des combattants d'expérience alors que d'autres sont des enfants. »