Plus de 900 personnes ont indiqué vouloir témoigner pendant les audiences de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, mais à peine le tiers d'entre elles ont été entendues jusqu'à maintenant, ont révélé mercredi les responsables de la commission.

Devant l'ampleur de la tâche qui restent à accomplir, ils ont annoncé avoir besoin de davantage que les 54 millions de dollars octroyés par le gouvernement fédéral pour mener à bien leurs travaux. Le délai fixé par Ottawa pour déposer un rapport final - décembre 2018 - leur apparaît aussi irréaliste.

«On a besoin d'assez de temps pour faire le travail correctement, pour entendre les familles et les survivantes qui veulent nous parler», a avancé Marion Buller, cheffe commissaire de l'enquête, pendant une conférence de presse à Ottawa.

«Problème historique»

L'enquête actuelle a été mise sur pied en septembre 2016, à la demande du gouvernement fédéral. En vertu de l'échéancier actuel, elle aurait environ deux ans pour réaliser l'ensemble de ses travaux, dans tous les coins du pays. 

Marion Buller rappelle que la Commission de vérité et réconciliation, qui s'est penchée sur les sévices subis dans les pensionnats autochtones, a pour sa part bénéficié de plus de cinq ans avant de pondre un rapport.

«C'était un problème historique, mais les problèmes sur lesquels on se penche sont eux aussi historiques, et ils continuent de se produire encore aujourd'hui, a-t-elle souligné. Au moment même où l'on se parle, des filles et des femmes autochtones souffrent de violence. C'est devenu, en quelque sorte, normal, et c'est une tragédie nationale.»

La cheffe commissaire n'est pas encore en mesure de chiffrer combien de temps et d'argent supplémentaires seront nécessaires. Elle compte déposer des demandes très précises au gouvernement fédéral dans les prochaines semaines. 

«Quand ce sera le temps d'approcher le gouvernement, oui, on sera très spécifiques, a dit Mme Buller. On ne veut pas avoir à y retourner une deuxième fois.»

À ce jour, environ le tiers des 54 millions alloués à la commission ont été dépensés ou alloués. La commission a suscité un vif intérêt chez les survivantes de violences et leurs proches, avec 100 nouvelles personnes qui ont demandé à témoigner seulement pendant le mois d'octobre, a souligné Marion Buller.

Obstacles bureaucratiques

Les responsables de l'enquête, qui incluent la québécoise Michèle Audette, se sont heurtés à plusieurs «obstacles bureaucratiques» depuis le début des travaux, ont-ils confirmé mercredi. 

Les problèmes internes de la commission ont aussi fait la manchette, alors qu'au moins une demi-douzaine de membres ont démissionné depuis le début du processus. Certaines ont déploré la structure «coloniale» de l'enquête, tandis que des victimes ont dit s'être senties brusquées pendant leur témoignage.

Le rapport d'étape de 118 pages déposé mercredi reconnaît ces problèmes, et souligne que «beaucoup d'efforts» sont présentement consacrés afin de régler les nombreux écueils qui ont entaché les travaux de la commission jusqu'à maintenant.

«Nous consacrons beaucoup d'efforts à régler nos problèmes opérationnels et de communications, peut-on lire dans le rapport. Notre processus de consignation de la vérité continuera d'évoluer au fur et à mesure que nous visiterons les communautés, tiendrons des audiences et organiserons les audiences d'experts et audiences institutionnelles.»

Trop tôt

Les responsables de l'enquête indiquent qu'il est «trop tôt, à l'étape du rapport provisoire, pour que la Commission d'enquête présente ses conclusions et fasse des recommandations dans la foulée du processus de consignation de la vérité». 

Elles s'engagent toutefois à appliquer plusieurs recommandations qui avaient déjà été faites dans le cadre de divers rapports indépendants publiés ces dernières années, et demander «la prise de mesures immédiates» au gouvernement fédéral.

Police autochtone

Parmi les trois appels à «l'action immédiate» lancés au gouvernement fédéral, la commission demande une collaboration accrue avec les provinces et territoires afin de créer une force de police autochtone vers laquelle les survivantes d'actes de violences et leurs familles pourront se tourner. Ce corps policier pourrait recueillir de nouvelles plaintes et rouvrir ou réviser des enquêtes déjà effectuées.

La commission demande aussi un financement supplémentaire immédiat à Santé Canada, pour bonifier les programmes de soutien aux victimes et à leurs familles pendant les travaux de la commission.

12 fois plus à risque

Le rapport déposé mercredi, intitulé «Nos femmes et nos filles sont sacrées», a fait une recension «historique» de 98 études et rapports réalisés jusqu'à maintenant au sujet de la condition des peuples autochtones. Il en ressort notamment que les femmes autochtones sont 12 fois plus à risque d'être assassinées ou de disparaître que toute autre femme au Canada.

Les travaux de la commission doivent couvrir 14 régions du pays, et s'attarder également à la condition de vie des femmes autochtones membres de la communauté LGBTABI. Le processus comprend des audiences publiques et privées, des travaux de recherche et des audiences d'experts.