L'avocat de la veuve d'un soldat américain tué en Afghanistan a indiqué mardi avoir déposé une demande devant un tribunal ontarien pour que toute somme versée par le gouvernement canadien à Omar Khadr lui soit remise à elle, ainsi qu'à un autre soldat blessé.

L'avocat Don Winder a fait cette annonce au moment où la décision du gouvernement canadien de présenter ses excuses à l'ancien prisonnier de Guantanamo et de lui verser un dédommagement de plusieurs millions de dollars est accueillie par certaines critiques.

Une source au courant de l'entente a déclaré sous le couvert de l'anonymat, mardi, qu'Omar Khadr recevrait 10,5 millions $. Le gouvernement et les avocats du Canadien ont négocié cette entente le mois dernier.

Omar Khadr avait 15 ans lorsqu'il a été capturé par les troupes américaines, au terme d'une fusillade qui a coûté la vie au sergent Christopher Speer et blessé le sergent Layne Morris. Omar Khadr, soupçonné d'avoir lancé la grenade qui a tué le soldat, avait été transféré à la prison de Guantanamo et éventuellement accusé de crimes de guerre.

Il a plaidé coupable en 2010 et été condamné à huit ans de prison, en plus du temps déjà passé derrière les barreaux. Il est rentré au Canada deux ans plus tard pour purger le reste de sa peine et a été libéré en mai 2015 pendant que ses avocats contestaient ses aveux de culpabilité - qui, selon lui, ont été faits sous la contrainte.

Omar Khadr a passé 10 ans à la prison militaire américaine de Guantanamo. Son cas a attiré l'attention un peu partout dans le monde après que certains l'eurent qualifié d'enfant-soldat.

La veuve de Christopher Speer et le sergent Morris, devenu aveugle à la suite de l'explosion de la grenade, ont intenté une poursuite aux États-Unis contre Omar Khadr pour homicide délictuel et blessures, en 2014, craignant que celui-ci n'obtienne de l'argent de la part du gouvernement canadien, qu'il poursuivait pour 20 millions $. Un juge américain leur avait accordé 134,2 millions $ US en dommages en 2015.

Les tribunaux canadiens ne peuvent faire appliquer des jugements rendus dans d'autres pays si ceux-ci contreviennent aux politiques publiques canadiennes. La Cour suprême du Canada a estimé que le système de justice militaire à la prison de Guantanamo était contraire à la conception canadienne de la justice.

M. Winder a indiqué que ses clients et lui avaient déposé leur requête il y a quelques semaines devant la Cour supérieure de l'Ontario afin que la cause soit entendue au Canada.

«Nous irons de l'avant avec cette requête et nous tenterons de nous assurer que, s'il (Omar Khadr) reçoit de l'argent, (la somme) ira à la veuve du sergent Speer et à Layne Morris pour la perte d'un de ses yeux», a-t-il dit.

Aucune date d'audience n'a encore été fixée. M. Winder a précisé qu'il n'avait pas eu de contacts avec l'avocat d'Omar Khadr à Edmonton, Dennis Edney, qui a refusé de discuter avec La Presse canadienne de ce nouveau rebondissement dans le dossier.

Interrogé dans des «circonstances abusives»

Les avocats d'Omar Khadr avaient intenté une poursuite de 20 millions $ pour emprisonnement injustifié contre le gouvernement canadien, à qui ils reprochaient d'avoir contrevenu au droit international en ne protégeant pas un citoyen et en complotant avec les États-Unis pour maltraiter Omar Khadr.

La Cour suprême du Canada a tranché en 2010 que des agents canadiens du renseignement avaient obtenu des informations d'Omar Khadr dans des «circonstances abusives», comme la privation de sommeil, lors d'interrogatoires menés à Guantanamo en 2003. Ces renseignements ont ensuite été partagés avec les États-Unis.

M. Khadr a été le plus jeune et le dernier Occidental détenu à la prison militaire américaine de Guantanamo, à Cuba.

Mardi, l'annonce d'un dédommagement d'une telle ampleur par Ottawa avait suscité l'ire dans le rang des conservateurs.

L'ex-député conservateur et actuel chef de l'Association progressiste-conservatrice de l'Alberta, Jason Kenney, s'est tourné vers les médias sociaux pour manifester son désaccord, se disant «outré» qu'un «terroriste» se voie «donner 10 millions $ par Justin Trudeau».

Le député conservateur Tony Clement a même exhorté M. Khadr à donner l'argent qu'il recevra à la famille du défunt soldat américain.

La Fédération canadienne des contribuables a lancé une pétition pour s'opposer au versement de millions de dollars.

L'ancien chef libéral Bob Rae a de son côté soutenu sur Twitter que la compensation qui devrait aller à M. Khadr était «due depuis longtemps».

Le premier ministre Justin Trudeau avait refusé de confirmer la nouvelle, mardi, lorsqu'interrogé à ce sujet en Irlande, où il rencontrait son homologue Leo Varadkar.

Il n'a toutefois pas démenti les informations qui ont circulé dans la presse, s'en tenant à dire qu'«un processus judiciaire est en cours depuis plusieurs années» et que son gouvernement s'attend à ce que ce dernier arrive à terme.

Un porte-parole du ministère de la Sécurité publique, Scott Bradsley, a également confirmé l'existence d'un tel processus, ajoutant toutefois qu'aucun commentaire ne pouvait être formulé à ce sujet étant donné le caractère «strictement confidentiel» de la procédure.

Les avocats du Canadien ont longtemps dit que leur client avait été forcé à faire la guerre par son père, Ahmed Saïd Khadr, dont la famille a habité brièvement avec Oussama ben Laden quand Omar Khadr était enfant. Le père Khadr, un homme originaire de l'Égypte, a été tué en 2003 lorsqu'un hélicoptère militaire pakistanais a frappé la maison où il résidait avec des agents d'Al-Qaïda.