La fromagerie Boivin, de La Baie, annoncera aujourd'hui, lundi, qu'elle met la main sur la fromagerie Lemaire, spécialiste du fromage en grains. Une annonce qui ne passe pas inaperçue, quelques mois avant l'arrivée de millions de kilos de nouveaux fromages européens au Canada.

On pourrait croire qu'il n'y a aucun lien entre l'annonce de la fromagerie Boivin, qui fait l'acquisition d'un spécialiste du fromage en grains, et l'accord de libre-échange avec l'Europe qui pourrait faire entrer au pays des parmesans, reblochons, gruyères. Et pourtant.

« Ce sera de plus en plus difficile pour les producteurs locaux. La façon la plus sûre que notre marque continue sa progression, malgré les fluctuations du marché, était de la transférer à un plus gros joueur », affirme Yvan Lemaire, qui cède la fromagerie familiale fondée en 1956, dans le Centre-du-Québec. Les détails de cette transaction seront connus aujourd'hui. 

Pour l'instant, Boivin conserve la marque Fromagerie Lemaire ainsi que les lieux d'exploitation, incluant le célèbre restaurant de poutine qui se trouve en bordure de l'autoroute 20, à Drummondville. 

Luc Boivin avoue lui aussi que cette acquisition a un lien direct avec l'arrivée prochaine de fromages européens au Canada. L'Accord économique et commercial global (AECG) conclu avec l'Europe apportera 17 millions de kilos de nouveaux fromages au Canada durant les cinq prochaines années. Les premières meules pourraient arriver dès l'été prochain. 

Au Québec, plusieurs entreprises se préparent. Boivin a décidé de miser sur le fromage en grains. «Avec l'arrivée des nouveaux fromages, il va falloir trouver des créneaux», explique Luc Boivin, président de l'entreprise du Saguenay - Lac-Saint-Jean. Et un de ces créneaux, c'est le cheddar frais. La fromagerie Boivin consacre présentement les deux tiers de sa production au cheddar frais. L'acquisition de Lemaire accentue beaucoup la proportion. 

«La poutine est en train de se nord-américaniser. C'est une petite révolution, et pour une fromagerie comme la nôtre, ça peut être un tremplin.»

Le président de la fromagerie Boivin donne en exemple McDonald's, qui a mis la poutine au menu partout au Canada, ou des groupes de restaurants tels St-Hubert ou La Cage qui en font plusieurs versions. « C'est très agressif dans le fromage en grains présentement », dit-il, la croissance étant au rendez-vous pour les entreprises qui fournissent la restauration. Selon Luc Boivin, l'arrivée des fromages européens pourrait convaincre certaines entreprises de taille moyenne de faire davantage de cheddar frais, puisqu'on n'importera pas de fromages en grains. 

Consolidations 

Ottawa devrait annoncer très prochainement comment et à qui seront attribués les nouveaux contingents tarifaires de fromage associés à l'AECG. Ces droits d'importation intéressent plusieurs acteurs de l'industrie. 

Le bureau du ministre du Commerce international, François-Philippe Champagne, ne donne aucun détail quant à l'attribution. Le milieu croit que de nouveaux acteurs auront des quotas, peut-être même des petites fromageries qui n'en possèdent pas pour le moment. Selon Luc Boivin, en procédant comme cela, Ottawa favorise la consolidation. Car si une petite ou moyenne entreprise obtient des contingents, elle devient intéressante pour de grands transformateurs qui voudront mettre la main sur les droits d'importer plus que sur sa production de fromage. 

Cathy Savard, directrice générale de la fromagerie St-Fidèle, à La Malbaie, s'attend aussi à voir du mouvement dans l'industrie. « On va certainement voir une consolidation, dit-elle. Depuis les années 90, le Québec perd des fermes laitières. Je crois qu'on va maintenant voir ça dans les fromageries. »

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Les fromages européens à nos portes

PHOTO fournie par la Fromagerie Boivin

Luc Boivin, président de la Fromagerie Boivin

Photo Jeannot Lévesque, archives le quotidien

Le comptoir laitier de la Fromagerie Boivin, à Saguenay

13 millions

Le système de gestion de l'offre canadien impose une taxe de 245 % à l'importation de fromage, à l'exception d'un peu plus de 13 millions de kilos importés annuellement avec les contingents actuels. Ces droits sont partagés inégalement entre 90 entreprises canadiennes, dont 22 québécoises. Agropur, Parmalat et Saputo possèdent des contingents, mais aussi Loblaws, seul grand détaillant à faire partie de la liste des détenteurs de ces précieux quotas. Un détenteur de droits d'importation doit les utiliser, faute de quoi la quantité qu'on lui a octroyée est ajustée en fonction de son utilisation réelle.