Derrière leur unité de façade, les syndicats du Québec se livrent ces jours-ci une lutte sans merci pour s'attirer les votes de près de 200 000 travailleurs du secteur de la santé - et les dizaines de millions de dollars qu'ils versent annuellement en cotisations. Une première depuis 2003. Le scrutin, conséquence directe des fusions d'établissements voulues par le ministre Barrette, prend fin demain et pourrait transformer les rapports de force dans ce secteur névralgique.

Une publicité audacieuse

La controverse de la campagne ? Une publicité télévisée de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) qui invite les infirmières à rejoindre une organisation qui leur est consacrée. Un choix s'offre à l'infirmière au centre de la capsule : un ascenseur rempli d'individus divers et suspects, et un deuxième qui ne transporte que des infirmières souriantes.

La capsule illustre la ligne de faille de la campagne, soit l'opposition entre les centrales syndicales - à l'effectif large - et les syndicats spécialisés - qui ne regroupent qu'une catégorie d'employés. C'est le cas de la FIQ, composée uniquement d'infirmières, et de l'APTS, qui ne regroupe que des professionnels.

Des syndicats en furie

La publicité a mis en furie les centrales syndicales, qui y voient une insulte envers leurs membres. « C'était particulièrement méprisant à l'égard des autres catégories d'emploi », a affirmé Jean Lacharité, de la CSN. « On s'est sentis indignés, nos membres se sont sentis indignés » par ce « dédain », a dénoncé Daniel B. Lafrenière, de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). Même portrait au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-FTQ) : « ils n'étaient pas obligés » de faire ça, a fait valoir le porte-parole Serge Morin. La présidente de la FIQ, Régine Laurent, a dit ne pas comprendre ces critiques : « C'est un peu plate pour leurs membres qu'ils aient pu penser que leurs membres étaient représentés dans cette pub. »

Fusions

Les travailleurs de la santé doivent choisir leur allégeance syndicale en raison de l'adoption de la loi 10 en 2015. Le réseau passait ainsi de plus de 80 structures à seulement une vingtaine. Dans chacune de ces structures, seulement quatre syndicats peuvent coexister : un pour les infirmières, un pour les cols bleus, un pour les employés de bureau et un pour les professionnels. Les syndiqués doivent donc s'entendre. Au total, 187 000 salariés doivent se prononcer dans un vote postal. Leur réponse doit être reçue par le Tribunal administratif du travail d'ici vendredi. Le Tribunal n'a pas donné hier d'évaluation du taux de participation à l'heure actuelle.

État actuel des forces

• CSN 47 %

• FIQ 24 % (mais majoritaire chez les infirmières)

• FTQ 13 %

• APTS 11 % (mais majoritaire chez les professionnels)

• CSQ 3 %

Des syndicats spécialisés forts

Les syndicats spécialisés espèrent faire des gains importants dans ce vote. « C'est comme une campagne électorale : on fait du pointage et tout ça. On pense qu'on va sortir gagnants », a affirmé à La Presse Carolle Dubé, présidente de l'APTS, qui ne recrute que des professionnels. Même portrait à la FIQ, qui a été extrêmement visible pendant la campagne. « On se parle entre professionnelles en soins, alors on est capables de se comprendre assez rapidement », a ajouté sa présidente. Ces deux syndicats sont déjà majoritaires dans leur catégorie respective.

Les centrales risquent gros

À l'opposé, les centrales syndicales vantent leur force de frappe et leur diversité, mais risquent gros. La CSN, le plus important syndicat du réseau grâce à sa forte présence chez les employés de bureau et les cols bleus, doit lutter sur un grand nombre de fronts, a indiqué Jean Lacharité, qui espère tout de même faire des gains. « Tout le monde travaille ensemble dans un hôpital », a-t-il souligné. La centrale s'est d'ailleurs payé une publicité télévisée qui met de l'avant cette collaboration - une pointe directe aux syndicats spécialisés. Au SCFP-FTQ, on se prépare plutôt à encaisser des pertes : « On n'est pas majoritaires dans les votes au moment où on se parle dans aucune des catégories, a admis le porte-parole Serge Morin. Il y a un potentiel énorme de perte de membres. »

« Les cotisations syndicales les moins chères »

Ce syndicat a donc utilisé une stratégie surprenante pour convaincre les travailleurs de le choisir : il promet « les cotisations syndicales les moins chères partout dans la province ». L'organisation a même mis en ligne un calculateur pour que chaque travailleur puisse déterminer combien il épargnerait en s'affiliant. Le SCFP peut offrir ces « bas prix » à cause de sa taille, avec des membres dans tout le Canada, selon son porte-parole Serge Morin. « Il y a des économies d'échelle à faire. »