L'anglais est-il encore une langue étrangère en France ? C'est là l'une des questions qui ont été posées au cours des deux derniers jours à Québec lors d'un colloque sur les anglicismes réunissant des experts et des autorités en matière de langue française représentant le Québec, la France, la Suisse et la Belgique. Comment cela se vit-il dans les différents pays francophones ?

LOÏC DEPECKER, délégué général à la langue française et aux langues de France

« L'anglais est très présent dans les médias, notamment dans les magazines féminins. En jouant ainsi avec l'anglais, par snobisme, ils pensent faire "moderne". Dans la vie de tous les jours, l'anglais est beaucoup moins présent.

« Les dictionnaires, qui sont libres de publier ce qu'ils veulent, admettent des anglicismes, mais cela reste de l'ordre de la description. À la Délégation générale à la langue française, nous sommes dans la prescription et nous adoptons très peu de mots anglais.

« Notre objectif est de faire de la néologie en français et de sauvegarder le français aussi bien dans la vie de tous les jours que dans les domaines scientifiques et techniques.

« Nous collaborons le plus possible avec le Québec et notre intention est d'avoir des politiques linguistiques proches.

« Récemment, j'ai bien aimé les termes "baladodiffusion" et "divulgâchage" [dévoiler une intrigue]. »

FRANÇOIS GRIN, président de la Délégation suisse à la langue française

« Au menu d'un restaurant de Genève qui sert un tartare au couteau, on parle d'un "tartare au knife". C'est d'un ridicule ! Un centre commercial qui proposait des soldes annonçait, lui, des "top prices". Souvent, en utilisant mal des anglicismes, on risque, comme ici, d'y aller de contresens.

« Je vois aussi des agences qui croient devenir plus attrayantes en se donnant des noms un peu anglophones. Ainsi, notre police fédérale vient d'être renommée "Fedpol".

« Par contre, en Suisse, j'entends de plus en plus les mots "dépanneur" et "courriel".

« Cela étant dit, au-delà des anglicismes, ce qui est surtout important, c'est que le français reste important dans la sphère politique, sociale et économique. »

JEAN-MARIE KLINKENBERG, président du Conseil de la langue française et de la politique linguistique de la Fédération Wallonie-Bruxelles

« En France et en Belgique, il y a cette idée très forte qu'en utilisant des mots anglais, on est moderne, dans le vent. La conscience linguistique en France et en Belgique est nettement inférieure à la conscience linguistique au Québec. Il y a chez nous une plus grande perméabilité à l'anglais, qui se sent bien chez les éditeurs de dictionnaires.

« Pour moi, ce n'est pas une question de purisme, mais de justice pour le citoyen, qui doit avoir accès et pouvoir comprendre des modes d'emploi et divers documents. Il en va de la dignité du citoyen.

« En même temps, je sens que l'ère de l'anglicisation galopante s'essouffle. Dans les années 70, les anglicismes et les emprunts - sit-in pour manifestation, par exemple - étaient beaucoup plus fréquents. Au fil des décennies, on constate que les anglicismes ne font que passer. »

ROBERT VÉZINA, président de l'Office québécois de la langue française

« L'anglais peut enrichir le français. On ne pourrait plus se passer, par exemple, des mots "designer", "camping" ou "épistémologie".

« Il faut cependant demeurer vigilant pour que la langue française continue de dire la modernité et qu'elle ne soit pas à la remorque de l'anglais.

« Dans la mesure du possible, nous discutons beaucoup avec nos homologues en France des néologismes à admettre ou à rejeter. Souvent, on se met d'accord, parfois, non. Pour remplacer "chatter", nous avons adopté "clavardage" et ça a bien pris. En France, la "causette" n'est jamais vraiment entrée dans l'usage. »

Photo Éric Gaillard, archives Reuters

La chaîne d'alimentation française Casino a choisi d'appeler l'une de ses enseignes Casino Shop, l'une des nombreux illustrations de l'attrait de l'anglais dans le secteur commercial.

Photo Éric Gaillard, archives Reuters

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