La nouvelle stratégie du gouvernement fédéral en matière d'habitation pourrait rater sa cible si elle ne reconnaissait pas que le logement constitue un droit fondamental, estime l'observatrice des Nations unies sur le logement convenable.

Le ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jean-Yves Duclos, a lancé fin juin une consultation, jusqu'à l'automne, pour élaborer «la première stratégie nationale en matière d'habitation depuis plus de 40 ans». Les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables du logement doivent se rencontrer de nouveau à ce sujet plus tard cette année.

L'ONU a souvent prévenu le Canada que le nombre de personnes en situation d'itinérance au pays, qui atteint actuellement environ 235 000, constitue un enjeu directement lié aux droits de la personne, et qu'Ottawa devrait se doter d'une stratégie nationale en matière d'habitation.

Leilani Farha, rapporteuse spéciale de l'ONU sur le logement convenable, soutient qu'Ottawa devrait reconnaître le logement comme un droit fondamental. Ainsi, le gouvernement fédéral bénéficierait d'un mécanisme de reddition de comptes afin de s'assurer que sa stratégie nationale en matière d'habitation fonctionne pour tous.

Une telle politique basée sur les droits de la personne prévoirait notamment l'élimination de toute discrimination dans les programmes de logements, des objectifs quantifiables et des échéanciers précis pour la lutte à la pauvreté, ainsi que des mécanismes pour que les citoyens puissent exiger des comptes du gouvernement s'ils se sentent lésés, explique Mme Farha, qui est aussi directrice de l'organisme Canada sans pauvreté.

Les élus et les hauts fonctionnaires n'aiment pas beaucoup cette idée d'inclure des concepts de droits fondamentaux dans une stratégie, de crainte que le gouvernement soit ensuite inondé de plaintes et poursuites.

«Je suis sensible (à ces craintes), reconnaît Mme Farha, lors d'une entrevue dans ses bureaux d'Ottawa. Par contre, si nous nous dotons d'une très bonne stratégie, complète, basée sur les droits de la personne, qui tienne compte des véritables besoins de ceux qui sont sans abri ou mal logés, alors il ne faudrait peut-être pas craindre d'échouer et d'être la cible d'une pluie de plaintes.»

La stratégie nationale en matière d'habitation, attendue d'ici la fin de l'année, mettra la table à un projet plus vaste, le plan national de réduction de la pauvreté, que l'ONU réclame d'Ottawa depuis des années.

Mme Farha, nommée par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, déplore que cette notion de droit de la personne soit absente des consultations menées en ligne par Ottawa. Pourtant, dit-elle, le gouvernement libéral de Justin Trudeau répète qu'il a fermement l'intention de respecter ses obligations internationales en matière de droits de la personne.

Par ailleurs, dans plusieurs régions du pays, le logement n'est pas d'abord de responsabilité fédérale, mais plutôt provinciale ou municipale. Le ministre Duclos a indiqué qu'il souhaitait élaborer la stratégie nationale à partir des expériences du passé.

Bien que Mme Farha n'ait pas voulu identifier ce qui devrait se trouver dans la stratégie nationale, elle refuse d'exclure d'emblée les suggestions du secteur privé. Elle rappelle par exemple que des propriétaires souhaitent la création d'un programme d'allocation au logement.

Le ministre Duclos doit participer en octobre prochain, en Équateur, à la troisième conférence des Nations unies sur le logement, qui se tient une fois tous les 20 ans. Selon Mme Farha, on assistera, lors de ce sommet «Habitat III», à une opposition entre ceux qui prétendent que le logement est une affaire de croissance économique, et les tenants des droits de la personne. «Comme si ces deux positions ne pouvaient pas cohabiter», déplore-t-elle.