Après réflexion, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a tranché et n'offrira pas de montants d'argent aux dénonciateurs de fraudes et autres malversations financières.

À quelques mois du dévoilement de son programme visant à renforcer ses mesures réglementaires, le gendarme financier québécois a décidé jeudi de mettre fin aux spéculations entourant cette possibilité.

L'AMF estime qu'il est impossible de conclure avec certitude que les incitatifs pécuniaires génèrent davantage de «dénonciations de qualité».

L'organisme de réglementation a dit avoir analysé les effets de ces programmes, notamment en Ontario - où il y a eu des consultations sur le sujet - ainsi qu'aux États-Unis.

«Ça s'est fait à l'interne, il n'y a pas eu de véritables consultations publiques au Québec, mais on a suivi de très près ce qui s'est fait aux États-Unis, non seulement dans ce qui a été mis en place, mais dans les résultats du programme là-bas. On a aussi eu énormément d'échanges avec l'Ontario, on a pris connaissance du contenu de la consultation (dans cette province)», a expliqué le directeur général du contrôle des marchés, Jean-François Fortin.

La question de l'incitatif financier représentait la «variable la plus importante», a souligné M. Fortin, soutenant que «la très grande majorité ou la totalité» de tels programmes comprennent les mécanismes de protection, comme la confidentialité, l'immunité et les mesures antireprésailles.

Expliquant la décision prise de ne pas verser d'argent aux lanceurs d'alerte, M. Fortin a évoqué la gestion complexe d'un mécanisme de récompense, les «enjeux de financement», et l'absence de «preuves concrètes que le volet financier est un moteur incitatif important».

Au contraire, estime l'Autorité, cette démarche a plutôt démontré que la protection de la confidentialité demeure la principale source de motivation des lanceurs d'alerte.

En Ontario, les consultations sur la proposition de la Commission des valeurs mobilières de la province de verser jusqu'à 1,5 million de dollars à un dénonciateur ayant fourni de l'information de qualité ont récemment pris fin.

Aux États-Unis, un généreux système de récompense est déjà en place. Le programme de la Securities and Exchange Commission (SEC) a été mis sur pied en 2010. Il n'y en a toutefois pas en Angleterre ainsi qu'en Australie, deux autres juridictions analysées par l'AMF.

Actuellement, les dénonciations effectuées auprès de l'AMF se font sur une base volontaire et sont traitées sous le sceau de la confidentialité lorsque la situation l'exige.

Associé au cabinet d'avocats Denton et membre du conseil de l'organisme Transparency International, Paul Lalonde croit plutôt que les incitatifs pécuniaires incitent généralement les lanceurs d'alerte à se manifester.

«C'est très rare que ça se déroule bien pour eux, a-t-il expliqué au cours d'un entretien téléphonique. Dans la plupart des cas, ils vont souffrir de conditions négatives au travail. Ils font l'objet d'un stress intense.»

M. Lalonde, un des nombreux experts ayant témoigné à la Commission Charbonneau, reconnaît toutefois que l'octroi de montants d'argent en échange d'informations n'est pas une «question facile».

Selon lui, cette pratique peut «choquer», étant donné que les lanceurs d'alerte ont souvent trempé dans des malversations avant de retourner dans le droit chemin.

«Il y a quelque chose de troublant et de choquant dans l'idée de récompenser ou payer quelqu'un, qui, à un moment donné, a participé à des activités illégales», analyse M. Lalonde.

Guichet sécurisé

Dans son programme qui sera rendu public prochainement, l'AMF prévoit notamment la mise en place d'un guichet sécurisé qui permettra aux dénonciateurs de transmettre directement des informations.

«Actuellement, quelqu'un qui fait une dénonciation a déjà la confidentialité, et une immunité existe dans la loi sur l'AMF - le dénonciateur ne pourrait pas faire l'objet d'une poursuite civile», a indiqué M. Fortin.

Ainsi, la principale nouveauté du programme devant être présenté dans quelques mois résiderait dans les mesures antireprésailles.

Celles-ci doivent permettre d'éviter qu'un dénonciateur puisse être congédié, et aussi donner la possibilité de poursuivre au civil si quelqu'un a fait l'objet de représailles, a noté le directeur général du contrôle des marchés.