La première fois que Roger a tenté de mettre fin à ses jours, il était en mission en Afghanistan, en 2011. «Au moment de quitter Kandahar, dans l'avion qui me ramenait au pays, je me suis dit que mon cauchemar se terminait enfin.» Roger se trompait. Ses problèmes ne faisaient que commencer.

Depuis son retour au pays, l'ancien militaire a souffert d'une dépression et d'un trouble de stress opérationnel. Et il a commis deux autres tentatives de suicide.

Roger, qui a préféré taire son nom de famille, a décidé de parler de ce qu'il a vécu dans l'espoir d'aider les autres militaires qui souffrent de dépression. «On ne s'en parle pas entre militaires. On a honte d'être malade, dit-il. Et ceux qui le sont ne reçoivent pas de promotion.»

Depuis 2012, quelque 11 300 membres des Forces armées canadiennes (FAC) ont déclaré souffrir de dépression, selon des documents obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Mais le nombre pourrait être beaucoup plus élevé puisque, comme le souligne Roger, les militaires parlent rarement de leur condition.

Quand un soldat doit consulter pour des problèmes mentaux, il voit des professionnels dont le bureau est généralement situé «au deuxième étage». «Et les escaliers pour s'y rendre, ce sont les escaliers de la honte», affirme Roger.

48,4% de la Force régulière

Selon une enquête de Statistique Canada sur la maladie mentale au sein des FAC en novembre 2014, environ 15,7% des membres de la Force régulière déclarent avoir souffert de dépression au cours de leur vie. Si on inclut les troubles d'anxiété généralisée, le trouble de stress post-traumatique, le trouble panique ou l'abus d'alcool, cette proportion grimpe à 48,4%.

Roger a fait une longue carrière militaire de 40 ans comme cuisinier dans les FAC. À 53 ans, il a été déployé en Afghanistan sur la base opérationnelle avancée de Zangabad, surnommée Zangaboom, parce qu'elle était située près des zones de combat et de bombardements. Rapidement, son état s'est détérioré, il ne dormait plus et ne s'entendait pas avec son supérieur. «J'avais envie de mourir. Quand il y avait des bombardements, je n'allais même plus me cacher dans le bunker.»

En larmes, arme à la main

Un soir, un autre supérieur l'a retrouvé dans les escaliers, il était en larmes et avait son arme de service entre les mains. «J'étais brisé», dit-il. Roger a ensuite été transféré vers une autre base, mais il a dû rester en Afghanistan. «On me donnait du trouble parce que je n'avais pas mon casque, mais on me laissait me promener avec une arme et des munitions!»

À son retour, après six mois, il s'enfermait de longues journées dans son sous-sol, dans le noir. «Je ne voulais plus voir personne. Je rêvais la nuit qu'on m'abandonnait en Afghanistan.» En 2012 puis en 2013, il s'est enfermé dans sa voiture dans le garage et a avalé tous ses médicaments. «Chaque fois que je me suis réveillé à l'hôpital, j'étais frustré d'avoir échoué», dit-il en soupirant. Roger a dû insister à plusieurs reprises et attendre quelques mois pour être admis à la clinique Sainte-Anne, spécialisée en stress opérationnel.

L'enquête de Statistique Canada reconnaît que les militaires déployés en Afghanistan sont aussi plus susceptibles de souffrir de troubles mentaux.

Depuis 2005, les coûts annuels en ressources psychiatriques internes et externes chez les Forces armées ont doublé, passant de 465 516$ à 1 069 405$, selon les documents obtenus par La Presse. Or, l'ombudsman de la Défense nationale a déjà fait état, dès 2012, d'une pénurie chronique de personnel en santé mentale.

Le recrutement: un «défi»

En 2002, les Forces s'étaient fixé comme objectif d'engager 454 employés pour traiter ces problèmes. Actuellement, on compte 420 professionnels en santé mentale, affirme la porte-parole des Forces, Jennifer Eckersley, qui reconnaît que le recrutement demeure un «défi» en raison de la forte demande. Elle souligne toutefois que les militaires ont accès à un réseau de plus de 2300 psychologues et 1040 psychiatres.

Roger, qui a commencé à prendre du mieux au contact de sa chienne Cybelle, a offert aux Forces de parler de dépression aux soldats pour les informer de ce qu'ils peuvent vivre, de l'aide qu'ils doivent aller chercher, de la honte, etc. «Mais personne ne m'a rappelé», dit-il en soupirant.

- Avec la collaboration de William Leclerc