Toutes les manifestations ne semblent pas égales devant la loi. Certaines seront tolérées, même en cas d'infraction, alors que d'autres seront réprimées. Pourquoi? s'inquiète la Ligue des droits et libertés, dans un rapport rendu public hier. Survol des faits saillants.

Une manifestation dont l'itinéraire n'a pas été communiqué à la police n'est pas automatiquement interrompue. En 2013-2014, selon la Ligue, seules 23 manifestations sur 139 s'étant déroulées sans itinéraire ont fait l'objet d'une répression policière. Cette donnée « [déconstruit] le mythe politique et policier qu'un itinéraire est absolument nécessaire », dit le rapport. Les manifs « tolérées » défendaient des causes variées, allant de l'opposition à la Charte des valeurs au droit au logement. « Pour nous, c'est clair qu'il y a du profilage politique », explique Lucie Lemonde, professeure au département de sciences juridiques à l'UQAM et coauteure du rapport. « La divulgation de l'itinéraire est un prétexte pour réprimer des mouvements de contestation sociale qui dérangent. Ce n'est pas pour assurer la sécurité, puisqu'on tolère la non-divulgation dans la très grande majorité des cas. »

Arrestations et accusations

Le chiffre est impressionnant, 7000 arrestations au cours des quatre dernières années (un manifestant a pu être arrêté plusieurs fois). Mais combien d'accusations survivent à la contestation judiciaire ? En février dernier, après avoir été déboutée en cour, la Ville de Montréal a renoncé à appliquer 2000 constats d'infraction délivrés en vertu du règlement P-6 (qui interdit le port du masque lors d'une manifestation et oblige les organisateurs à fournir leur itinéraire). Une victoire pour les manifestants, au terme d'une bataille juridique épuisante, constate le rapport.

Répercussions

Les différentes mesures adoptées depuis cinq ans concernant le droit de manifester ont eu diverses répercussions sur les militants, ont observé les auteurs. Sur 28 organisations sondées, 17 refusent presque toujours de divulguer leur itinéraire. « Lorsque les groupes co-organisent des manifestations avec d'autres, la décision peut devenir une "pomme de discorde" importante, voire paralysante », notent les auteurs. L'obligation de manifester à visage découvert peut « dissuader des chômeurs [...] en recherche d'emploi » qui craindront d'être reconnus. D'autres personnes préféreront aussi rester silencieuses « par crainte d'être bousculées et violentées par des [policiers], d'avoir un casier judiciaire ou de devoir payer des amendes élevées ».

Banalisation

« Ce qu'on a trouvé le plus grave, c'est la banalisation qui entoure ce qui se passe, dit Mme Lemonde. On voit [...] à la télé la violence et la répression à l'endroit des manifestants. Mais dans la population, il y a une indifférence. [...] Le discours selon lequel les manifestants sont "tous des violents" est devenu un discours dominant dans la classe politique et qui est repris par la population. Les gens ont le droit d'exprimer leur dissidence et d'essayer de faire changer les choses. » 

Ni le Service de police de la Ville de Montréal ni la Ville de Montréal n'ont souhaité réagir hier aux conclusions de la Ligue.

Sans itinéraire

Manifestations sans divulgation d'itinéraire tolérées ou non par la police au Québec, 2013-2014

• Tolérées par la police 83 %  

• Interrompues par la police 17 %

• Causes défendues par les 23 manifestations réprimées par la police, 2013-2014

• Causes étudiantes  76 %

• Luttes anticapitalistes  11 %

• Brutalité policière  9 %

• Autres 4 %