L'agrile du frêne a causé la mort de millions d'arbres au Québec et ailleurs en Amérique du Nord; des ravages que les spécialistes croyaient limités aux populations de frênes... Or, des arbres de la même famille, comme le lilas et l'olivier, pourraient aussi être la cible de l'insecte destructeur.

Don Cipollini, un chercheur de la Wright State University, dans l'Ohio, a découvert l'été dernier que l'agrile s'était attaqué à des arbres à neige. Le Chionanthus virginicus - de son nom scientifique - est de la famille des oléacées, au même titre que le frêne, le lilas, l'olivier ou le jasmin.

«Ça ébranle nos connaissances sur l'insecte, admet l'entomologiste Robert Lavallée, spécialiste en gestion des ravageurs forestiers pour Ressources naturelles Canada. On croyait que l'agrile n'était que pour les frênes, mais l'insecte semble avoir une palette alimentaire beaucoup plus large. Mais c'est très mince comme observation.»

M. Cipollini a répertorié une vingtaine d'arbres à neige à l'état sauvage dans son secteur à l'étude, dans l'Ohio, aux États-Unis. L'agrile y avait pondu ses oeufs et la transformation jusqu'au stade adulte s'était complétée sur quatre arbres.

«Nous réalisons que l'agrile du frêne ne se nourrit pas seulement des frênes», explique M. Cipollini dans l'article qu'il a publié en janvier dans le Journal of Economic Enthomology. Le chercheur avance deux hypothèses: «Soit les arbres hôtes pour l'agrile du frêne sont plus nombreux que l'on croyait, soit il s'adapte pour se développer sur de nouveaux genres d'hôtes» lorsqu'il n'y a plus de frênes pour assurer sa survie.

Risques au Québec

L'arbre à neige provient du sud des États-Unis et il est peu répandu au Québec, notre climat n'étant pas idéal pour sa croissance.

«C'est très marginal. On en vend entre cinq et dix par année», rapporte Mariève Dyotte, propriétaire du Centre du jardin Deux-Montagnes, où l'on retrouve plus de 50 000 spécimens d'arbres et de fleurs.

«On en a huit au Jardin botanique, mais je ne sais pas s'il y en a 100 au Québec, explique Robert Mineau, contremaître des jardins extérieurs au Jardin botanique de Montréal. C'est pour ça que [cette découverte] n'est pas très grave pour nous.»

Pour l'instant, les experts du Québec ne s'inquiètent pas outre mesure de la situation, mais reste à savoir dans quelle mesure d'autres oléacées pourraient être la cible du ravageur - le lilas, par exemple.

«L'avenir nous le dira, mais ça, ça pourrait être plus dramatique, parce que s'il y a un arbuste que les gens connaissent au Québec, c'est bien le lilas, admet M. Mineau. C'est beau, furtif, éphémère; c'est le symbole du printemps, du réveil. Il y a un gros attachement envers le lilas.»

«L'arbre à neige [...] lève le drapeau en termes de surveillance pour ne pas que l'agrile nous passe dans le dos par une autre plante, souligne le chercheur Robert Lavallée, en mettant bien l'accent sur la prévention. Mais pas de panique, ajoute-t-il. Nous avons bien assez de nos frênes à nous occuper pour l'instant».

La frontière sous surveillance

En attendant les résultats des recherches plus poussées de son collègue américain, M. Lavallée estime que l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) devrait resserrer le contrôle à la frontière. «Prenons des mesures réglementaires, parce que si des plans d'arbres à neige voyagent [par les pépinières], il faudrait qu'ils soient à tout le moins inspectés. C'est essentiel de suivre ce volet-là pour ne pas disperser l'agrile du frêne», plaide-t-il. Les experts croient que l'ACIA est au courant de la récente découverte, mais tout porte à croire qu'il n'y a pas de nouvelle réglementation concernant le Chionanthus virginicus. «C'est sûr qu'on aurait été mis au courant; à la minute où les plantes sont sur une liste, on reçoit l'information très vite [de l'ACIA] pour savoir ce qu'il en est», a expliqué Marc Légaré, conseiller en pépinières à l'Institut québécois du développement de l'horticulture ornementale (IQDHO), un OSBL issu d'un partenariat entre le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec et la Fédération interdisciplinaire de l'horticulture ornementale du Québec. L'ACIA n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.