Par une journée froide de janvier 1945, Miriam Friedman Ziegler, âgée de neuf ans, regardait les soldats de l'Armée rouge s'approcher d'Auschwitz. Un photographe militaire a immortalisé ce moment historique: 13 enfants aux yeux écarquillés - dont Miriam - qui observaient la scène à travers une clôture de fils barbelés.

L'idée de liberté était une notion effrayante pour cette enfant juive qui venait de passer un an à Auschwitz, séparée du reste de sa famille.

«Que va-t-il m'arriver maintenant?, se souvient-elle d'avoir pensé à l'époque. Je n'ai personne.»

Elle a plus tard retrouvé sa mère, mais son père n'a pas survécu à son séjour dans le camp nazi notoirement célèbre.

Auschwitz est devenu le symbole des horreurs de la Shoah, lors duquel six millions de Juifs ont été tués.

Mme Friedman Ziegler, qui vit aujourd'hui à Thornhill, en Ontario, fait partie d'une centaine de survivants qui retourneront en Pologne cette semaine pour souligner le 70e anniversaire de la libération d'Auschwitz.

Pour cette femme âgée de 79 ans, le retour n'est pas facile.

«J'avais juré que je ne retournerais jamais en Pologne, mais je sens maintenant qu'il est de mon devoir de le faire», a-t-elle expliqué lors d'une récente entrevue avec La Presse Canadienne.

Lundi, elle retrouvera pour la première fois quatre autres filles apparaissant dans la photo, qui sont aujourd'hui âgées d'environ 80 ans. Une nouvelle photo sera prise pour immortaliser le moment. Cette fois-ci, cependant, ce sera dans le confort d'un hôtel de Cracovie - les émotions suscitées par l'idée de prendre la photo au camp de concentration à proximité sont beaucoup trop accablantes pour elles.

En fouillant dans ses photos dans son appartement au nord de Toronto, Mme Friedman Ziegler ne cesse de revenir à la photo en noir et blanc, sur laquelle elle semble perplexe, avec sa manche gauche relevée montrant son numéro d'identification de prisonnière - A16891 - que les nazis ont tatoué sur sa peau.

«Pourquoi suis-je la seule à montrer mon numéro? Je ne sais pas ce qui m'a poussée à faire ça», affirme-t-elle, en précisant qu'à cet âge-là, elle n'était pas en mesure de distinguer une armée d'une autre.

Le périple de Miriam Friedman Ziegler a commencé en 1940 à Radom, en Pologne, où son père possédait quelques magasins. La vie était idyllique, se rappelle-t-elle, jusqu'au jour où les chars des nazis sont entrés dans la ville. Sa mère l'a mise dans une charrette tirée par un cheval pour l'emmener à la maison de ses grands-parents, située dans une autre ville à proximité. Mais l'homme qui conduisait l'attelage les a abandonnées en route, craignant pour sa vie.

Elles se sont cachées dans la forêt durant le jour et ont marché durant la nuit, pour finalement atteindre la maison de ses grands-parents. Les nazis n'y étaient pas encore arrivés, mais ils étaient en route. Le grand-père de Miriam a alors payé un fermier compatissant pour qu'il la cache. Le fermier l'emmenait en ville pour mendier de la nourriture et de l'argent, en la présentant comme sa nièce. La ruse a fonctionné parce qu'elle ressemblait à la plupart des autres petites filles polonaises, avec ses longs cheveux blonds.

Durant ses déplacements dans la campagne, elle se souvient d'avoir vu la mort de près. Des chiens dépeçant les corps, une famille entière pendue à l'extérieur de sa maison. Elle a rapidement retrouvé sa famille, mais le scénario s'est répété à plusieurs reprises par la suite. Elle se cachait parfois avec des étrangers, parfois avec sa famille.

De temps en temps, les nazis les repéraient dans le cadre d'une «sélection», lors de laquelle ils choisissaient des gens pour les emmener ou les tuer sur-le-champ.

Durant l'une de ces «sélections», elle a vu des membres de sa famille s'aligner à l'extérieur avec sa tante Bella, qui tenait un nouveau-né dans ses bras.

«Je pouvais voir ce qu'ils faisaient et je les ai vus tirer sur le bébé», raconte Mme Friedman Ziegler en sanglotant, la voix brisée par l'émotion.

Quand elle a eu neuf ans, les nazis l'ont mise avec ses parents dans un wagon à bestiaux et les ont envoyés au camp d'Auschwitz.

Les enfants ont été conduits au camp adjacent de Birkenau, où Miriam Friedman Ziegler a retrouvé quelques cousins et rencontré d'autres jeunes filles qui allaient ensuite devenir des amies tout au long de sa vie.

Les «sélections» des nazis se sont poursuivies dans le camp, indique-t-elle, et elles sont devenues encore plus sinistres.

«Chaque fois qu'ils emmenaient quelques enfants pour des expériences, certains revenaient et d'autres pas», raconte-t-elle.

«Tout ce dont je me souviens, c'est d'être allée dans cette grande salle où il y avait des gens vêtus d'uniformes blancs et beaucoup de tables avec des choses dessus», dit-elle. Mais elle ne se souvient plus de ce qui s'est passé ensuite.

«Je suis revenue et j'avais des douleurs aux hanches et aux jambes. C'est tout ce que je sais.»

Un jour, les nazis ont abandonné le camp temporairement et les enfants, dont Miriam, se sont faufilés jusqu'à Auschwitz, où ils ont pillé les casernes pour trouver de la nourriture et des vêtements, avant de retourner au camp.

Quand les nazis sont revenus, ils ont demandé à tous ceux qui voulaient retrouver la liberté de s'aligner. Ils ont tué tous ceux qui s'étaient mis en file.

Le camp d'Auschwitz a été libéré le 27 janvier 1945.

Alexander Vorontsov, un photographe de combat de l'Armée rouge, a filmé le camp peu après la libération, selon Anne Marie Stein, de la fondation USC Shoah. La photographie où l'on voit Miriam Friedman Ziegler est en fait une image fixe tirée de ce film, dont une partie a été présentée lors des procès de Nuremberg.

Après Auschwitz, Mme Friedman Ziegler a passé un certain temps dans différents hôpitaux et orphelinats d'Europe de l'Est. Elle est finalement arrivée au Canada parmi un groupe de 1000 enfants réfugiés. Elle a vécu pendant un temps à Hamilton avec des proches, avec des souvenirs de mort et de souffrance toujours frais dans sa mémoire.

Deux ans plus tard, sa mère est venue au Canada à son tour et elles se sont installées à Toronto. Par la suite, elle a rencontré celui qui deviendrait son mari - lui aussi survivant de la Shoah - lors d'un rendez-vous arrangé. Le couple a eu trois enfants.

«J'ai eu une très, très bonne vie, affirme la dame. Je n'aurais jamais osé rêver de vivre dans un endroit si beau.»

Elle parle peu de ce qu'elle a vécu durant la Shoah, même avec sa famille.

«J'entends certaines de ces histoires horribles pour la première fois», indique sa fille, Adrienne Shulman, qui l'accompagnera en Pologne.

Les entrevues et l'attention médiatique ont épuisé Mme Friedman Ziegler. Elle est émotive et prête à passer à autre chose, mais elle estime qu'il est de son devoir de parler.

«J'ai été assez chanceuse pour vivre, dit-elle. Je veux que le monde le sache.»

PHOTO PC