Valises à double fond, billets dissimulés sous les vêtements ou cachés dans des objets anodins, toutes les méthodes sont utilisées pour faire entrer clandestinement de l'argent au pays. Mais elles ne fonctionnent pas toujours: 145 millions de dollars ont été saisis à la frontière canadienne depuis 2009. Portrait du phénomène.

Les voyageurs qui transportent des sommes colossales d'argent avec eux ne sont peut-être pas aussi rares qu'on pourrait le penser. Chaque année, les douaniers canadiens saisissent quelques dizaines de millions de dollars non déclarés, révèlent des documents de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

L'immense majorité des sommes saisies sont constituées d'argent comptant, principalement des dollars américains, mais les douaniers ont aussi saisi des chèques, des chèques de voyage, des traites bancaires, des cartes de crédit et même... des bons du Trésor.

Pourtant, transporter d'importantes sommes d'argent n'est pas illégal, c'est omettre de les déclarer qui l'est. La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes «exige de chaque personne ou entité qu'elle déclare [...] l'importation ou l'exportation d'espèces ou d'instruments monétaires de 10 000$CAN ou plus», rappelle le site internet de l'ASFC.

L'argent saisi n'est cependant pas toujours le fruit de la criminalité. «Souvent, ce sont des gens qui ont une "business" à l'étranger et qui vont tenter de rentrer de l'argent sans avoir à passer par les banques», afin d'éviter l'impôt, explique Michel Juneau-Katsuya, ancien agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Lorsque les douaniers n'ont pas de doutes raisonnables que l'argent non déclaré est le fruit du crime, le porteur peut le récupérer, moyennant une pénalité variant de 250 à 5000$. L'argent soupçonné de provenir de la criminalité ira pour sa part dans les coffres de l'État.

La proportion des sommes saisies et soupçonnées d'être le produit de la criminalité est toutefois relativement faible: 25 millions de dollars sur les 145 millions saisis depuis 2009. «Divers types de criminalité» en sont la source, selon Michel Juneau-Katsuya: immigration illégale, trafic de drogues, voitures volées, contrebande.

Une saisie à 1 million

Les statistiques obtenues par La Presse révèlent que ce sont d'abord des citoyens canadiens qui se font coincer lorsqu'ils rapportent au pays des sommes d'argent considérables non déclarées. Suivent de près les ressortissants chinois, puis, loin derrière, les ressortissants américains.

L'Agence des services frontaliers, qui a refusé de nous accorder une entrevue, a indiqué par courriel «qu'une multitude de facteurs peuvent avoir une incidence sur les statistiques, notamment les volumes de voyageurs».

L'Iran et la Corée du Sud se trouvent cependant aussi dans le haut du palmarès. «Ce sont des pays qui pratiquent beaucoup l'espionnage corporatif», répond Michel Juneau-Katsuya, ajoutant que l'Iran est aussi une plaque tournante du trafic d'héroïne en provenance d'Afghanistan.

Parfois, c'est le montant qui influe sur les statistiques: en 2010, un citoyen belge a été intercepté à l'aéroport Montréal-Trudeau avec plus de 1 million de dollars en poche, soit environ 90% de tout l'argent transporté clandestinement au Canada par des Belges cette année-là.

Somme en diminution

Sans surprise, c'est dans les plus importants aéroports du pays que le plus grand nombre de saisies sont réalisées: Toronto, Montréal et Vancouver. Les sommes sont cependant en baisse: de 47,8 millions de dollars saisis en 2009, ils sont passés à 21 millions de dollars en 2013.

D'après le président national du syndicat des douanes et de l'immigration, Jean-Pierre Fortin, cette diminution des saisies s'explique par les compressions imposées par Ottawa, notamment en 2011. «Ils ont démantelé l'escouade sur le blanchiment d'argent», dit-il, ajoutant que 19 équipes de maîtres-chiens ont été coupées sur les 79 que comptait le service.

Michel Juneau-Katsuya ajoute que les techniques se raffinent, avec l'utilisation de mules, comme pour le trafic de drogues, ou encore l'envoi de petites sommes par la poste. «Beaucoup de groupes criminalisés plus sophistiqués comme les Italiens se font prendre beaucoup moins souvent, explique-t-il. Les "bikers" se font prendre plus souvent.»

- Avec William Leclerc et Sylvain Gilbert