Au lendemain d'une vague de froid qui a fait six morts en France et à la veille d'une chute brutale des températures au Québec, les intervenants de la lutte contre l'itinérance de Montréal ont bon espoir d'éviter le pire. Leur meilleur allié: l'hébergement pour tous, une approche qui ne semble pas encore avoir séduit leurs collègues français.

Dans l'Hexagone, on attend que les températures tombent au-dessous de zéro le jour et oscillent entre -5° et -10° la nuit pour ouvrir des lits supplémentaires. Mais à Montréal, on ne badine pas avec le froid.

«Entre le 1er décembre et la fin de l'hiver, on ne refuse personne dans les refuges», dit le président et chef de la direction de la Mission Old Brewery, Matthew Pearce. Ici, que le mercure frôle les -20 ° ou zéro, la politique est la même, quitte à déposer des matelas sur le sol de la cafétéria. En hiver, les ressources d'accueil de la métropole se mobilisent. Lorsqu'un centre est complet, on déplace les personnes à la recherche d'un refuge dans une ressource qui a encore de la place.

«On a vu à Noël des gens distribuer des couvertures ou des sacs de couchage aux gens de la rue, mais c'est vraiment à éviter, parce que ça équivaut à encourager les gens à passer la nuit dehors», souligne pour sa part Aubin Boudreau, directeur général de l'Accueil Bonneau. «Plusieurs itinérants ont des problèmes de dépendance: ils ne sentent pas le froid et peuvent mourir. On suggère plutôt d'encourager les gens à utiliser les refuges, où ils bénéficient aussi du soutien psychosocial des intervenants.»

Réticences des sans-abri

Les réticences de certains sans-abri à recourir aux refuges compliquent la tâche des intervenants, français comme québécois.

Des six personnes qui sont mortes en France dans la semaine du 24 au 30 décembre, certaines avaient refusé des offres d'hébergement. «Les refus sont souvent liés à la consommation de drogue ou d'alcool et aux règles des refuge», explique Matthew Pearce. «Il y a aussi des personnes qui ont des problèmes de santé mentale et qui ne peuvent pas vivre dans des endroits fermés ou en groupe», ajoute Aubin Boudreau.

Parfois, même la navette de la Mission Old Brewery - qui patrouille près des endroits où se rassemblent des sans-abri, notamment aux alentours de la station de métro Bonaventure à l'heure de fermeture - ne suffit pas à convaincre les gens de la rue d'utiliser des services d'hébergement. Résultat: plusieurs se retrouvent aux urgences des hôpitaux. «Quand le froid est combiné au diabète, à des problèmes de santé mentale ou à la prise de drogue, il y a des risques importants d'engelures. On en a plein, des itinérants qui doivent se faire couper des orteils, des bouts de pied», dit Olivier Farmer, psychiatre au Centre hospitalier universitaire de Montréal (CHUM) et cofondateur du Projet de réaffiliation en itinérance et en santé mentale, qui «sort» de la rue jusqu'à 200 personnes par année.

À la lecture des prévisions météorologiques, qui laissent entrevoir des températures frôlant les -20 ° la semaine prochaine, le psychiatre prévoit une période difficile pour les sans-abri. «Ils doivent quitter les refuges à 7 ou 8h du matin et ils ne reviennent qu'à

15 ou 16h. Ils passent donc une bonne partie de la journée dehors», rappelle-t-il.

Les ressources ouvertes dans la journée, comme le centre de jour de l'Accueil Bonneau, voient arriver quotidiennement de 600 à 700 personnes - de quoi occuper les quatre ou cinq employés qui gèrent cette demande au quotidien.