Sur une photo prise en 1998, on voit Damian Clairmont, 6 ans, porter un chandail de Buzz Lightyear, souriant à pleines dents. Il y a neuf mois, le même Damian Clairmont, devenu djihadiste au sein d'un groupe islamiste radical, tombait sous les balles en Syrie.

En ce jour de janvier, où la mort d'un nouveau «martyr» a été saluée par les combattants islamistes sur Twitter, Christianne Boudreau a perdu un fils. La mère ne veut pas qu'il soit mort en vain. C'est pourquoi elle veut fonder une organisation pour contrer le discours musulman extrémiste chez les jeunes Canadiens.

L'organisme que souhaite fonder Mme Boudreau, qui s'inspirerait du groupe allemand Hayat (voir autre texte), pourrait venir en aide aux familles qui voient leurs jeunes se radicaliser. «Il faut parler à ces jeunes sur une base individuelle. Ç'a été fait avec succès en Allemagne et je pense qu'on peut faire la même chose ici», dit-elle en entrevue à La Presse.

Au Canada, l'existence de jeunes djihadistes, endoctrinés dans l'ombre, est un véritable tabou, croit la femme de Calgary. «J'ai essayé de prendre contact avec d'autres familles au Canada. Je n'ai jamais réussi. On dirait qu'ici, les gens ne veulent pas voir qu'une chose aussi terrifiante peut se produire aussi dans leur famille.»

Or, la pire chose que les familles touchées puissent faire, c'est de garder le silence, estime-t-elle. Un groupe comme celui qu'elle veut fonder permettrait à ces gens qui voient leur jeune se laisser séduire par des discours radicaux de recevoir des conseils en toute confidentialité. Mme Boudreau voudrait aussi les mettre en contact avec des imams modérés qui seraient en mesure de contrer le discours des groupes radicaux.

«Garder le silence, c'est la pire chose que les familles puissent faire. Les jeunes ont été endoctrinés. Il faut absolument défaire ce qu'on leur a raconté.»

Christianne Boudreau en sait quelque chose. Au moment où son fils Damian, qui s'était converti à l'islam, a commencé à tenir des propos extrémistes, elle a préféré éviter de discuter politique avec lui.

Une adolescence difficile

Il faut dire que Damian n'avait pas eu une adolescence paisible. Il avait abandonné l'école avant la fin de ses études secondaires et avait fait une tentative de suicide après un diagnostic de trouble bipolaire. «Au début, sa conversion à l'islam a été positive pour lui. Il était plus calme, apaisé, il ne consommait plus d'alcool. Il avait des amis charmants qu'il amenait à la maison», raconte-t-elle.

Puis Damian s'est mis à fréquenter une nouvelle mosquée. «Il a commencé à parler de la guerre à l'étranger. À dire qu'on ne faisait rien pour les aider. Il a commencé à parler de la conspiration du 11-Septembre. Je lui ai dit que c'était un peu extrême comme propos, qu'il devrait vérifier ses sources. Mais on évitait généralement la question pour ne pas que ça finisse en dispute.»

Il parlait parfois de son nouveau groupe d'amis, que sa mère n'a jamais vus. Lorsque ceux-ci appelaient à la maison, Damian évitait de leur parler devant sa mère.

Un an plus tard, sa mère découvrira que ces jeunes faisaient partie d'une filière djihadiste établie à Calgary, qui comptait, selon le réseau anglais de Radio-Canada, deux douzaines de jeunes hommes. Il y a quelques mois, le chef du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Michel Coulombe, indiquait que 130 Canadiens étaient devenus, comme Damian Clairmont, membres de groupes islamistes radicaux.

Parti au combat

Damian a quitté le Canada en novembre 2012. Il a dit à sa mère qu'il allait en Égypte pour étudier l'arabe. En janvier dernier, le SCRS a frappé à la porte de Mme Boudreau pour lui dire que son fils lui avait menti: il s'était enrôlé aux côtés d'un groupe lié à Al-Qaïda en Syrie.

«Nous sommes tombés des nues. Le SCRS le suivait depuis deux ans. Et personne ne nous a informés de quoi que ce soit! Ils ont attendu qu'il soit parti pour nous contacter! J'aurais aimé qu'ils viennent nous voir beaucoup plus tôt, pour qu'on nous dise quoi faire. Nous étions complètement perdus.»

Si elle pouvait remonter le temps, Christianne Boudreau agirait-elle autrement? Contacterait-elle la police pour dénoncer son fils? «C'est une question difficile, soupire-t-elle. Mais en rétrospective, je crois que j'aurais dû appeler la police pour qu'on l'empêche de partir à l'étranger. Quitte à ce qu'il soit détenu.»