Les accusations criminelles portées contre 44 employés municipaux, dont au moins deux leaders syndicaux, dans la foulée de la manifestation violente du 18 août dernier à l'hôtel de ville de Montréal, nuisent à la Coalition syndicale pour la libre négociation dans son combat contre le projet de loi 3 sur la réforme des régimes de retraite, constate son porte-parole Marc Ranger.

En entrevue à La Presse, il explique que ce genre d'événement «qu'on ne contrôle pas et qui n'est pas souhaitable» déplace irrémédiablement le débat vers la forme plutôt que sur le fond. En plein coeur d'une bataille pour obtenir la faveur de l'opinion publique, cette situation nuit à la stratégie, alors même que la Coalition tente de rallier de nouveaux syndicats à la cause qui «dépasse désormais largement le cadre des employés municipaux pour atteindre l'ensemble des travailleurs syndiqués du Québec», soutient-il vigoureusement.

Selon lui, l'automne risque d'être chaud au Québec. La Coalition s'efforce actuellement de créer un important mouvement social «historique, comme on en a rarement vu» ralliant l'ensemble des travailleurs syndiqués des secteurs public et privé.

«Le gouvernement tente de présenter l'affaire comme un conflit entre les méchants syndiqués gras dur contre les contribuables, mais nous démystifierons le tout. Les quelque 40 % de syndiqués [de la province] sont aussi des contribuables. Notre mouvement est appelé à prendre de l'ampleur», dit M. Ranger.

Le gouvernement libéral traversera-t-il un «automne syndical» de grèves et de manifestations un peu plus de deux ans après la fin du «printemps étudiant» de 2012 ? Pas nécessairement, nuance-t-il, sans toutefois exclure le recours à la grève.

«Il y a eu des discussions, des syndicats sont allés se chercher des mandats de grève, mais je demeurerai discret là-dessus. On verra comment le dossier évoluera cet automne, mais notre objectif n'est pas d'en arriver là. Toutefois, si le gouvernement ne fait pas évoluer sa position, il ne nous laissera pas le choix d'envisager autre chose», explique M. Ranger.

La bataille n'est pas encore perdue

Selon un récent sondage CROP-La Presse, 39 % des Québécois n'ont toujours pas choisi leur camp dans le débat sur la réforme des régimes de retraite et seulement 53 % des répondants membres d'un syndicat approuvent les moyens de pression.

Même si les syndicats ne jouissent pas de l'appui d'une large proportion de la population, la Coalition est loin d'avoir perdu la première manche de sa bataille qui l'oppose au gouvernement, analyse Bernard Motulsky, titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) et président de la Société québécoise des professionnels en relations publiques.

«Ce qui me frappe, c'est que lorsque le projet de loi a été présenté, ça semblait être une formalité. Les chefs syndicaux s'étaient indignés, mais on avait l'impression qu'ils n'iraient pas bien loin. Mais depuis plusieurs mois, ils ont réussi à faire valoir qu'ils avaient de bons arguments, une cause qu'on n'est pas obligé d'épouser, mais qui peut se défendre», analyse l'expert en entrevue à La Presse.

Selon lui, les débordements à l'hôtel de ville et les accusations criminelles qui ont été déposées ne nuiront pas sensiblement au mouvement syndical.

Le gouvernement du premier ministre Philippe Couillard se retrouve aujourd'hui dans un contexte similaire à celui dans lequel se trouvait son prédécesseur libéral Jean Charest lorsqu'il avait défendu le dossier de la sous-traitance, croit l'expert en relations publiques.

«À l'époque, il y avait eu une mobilisation syndicale très forte qui affirmait qu'on s'attaquait à un principe fondamental. Le gouvernement avait fini par reculer. Cette fois-ci, le principe défendu est le droit de négocier. Alors qu'on établit les bases d'une discipline budgétaire, la pression s'accentuera, deviendra forte, et elle viendra de partout», prévient M. Motulsky.

«Pour les syndicats, la prochaine étape est de mobiliser les mécontents pour faire reculer le gouvernement. À l'opposé, [le gouvernement Couillard] doit s'assurer d'avoir des alliés qui iront parler sur la place publique. Ils ont devant eux beaucoup de monde, d'organisations, de mouvements associatifs qui sont capables de parler», affirme-t-il.