Plus de la moitié des détenus actuellement derrière les barreaux des pénitenciers fédéraux du Québec sont toxicomanes, révèlent des chiffres obtenus par La Presse. Un véritable cauchemar pour les agents correctionnels, qui doivent prendre en charge des criminels en sevrage forcé tentant par tous les moyens de faire entrer de la drogue ou d'en avoir sous la main.

«C'est un problème complexe à gérer qui entraîne plus d'incidents et d'agressivité, et qui alimente toute une économie souterraine», explique le président pour la région du Québec du syndicat des agents correctionnels du Canada, Éric Thibault.

En tout, plus de 2300 criminels incarcérés et près de 1000 condamnés à des peines dans la collectivité ont une dépendance à la drogue, soit 58%. C'est ce que révèlent de récentes statistiques du Service correctionnel du Canada sur lesquelles nous avons mis la main en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Dans des bâtiments surpeuplés, le sevrage provoque souvent des conflits et des batailles entre détenus, ou des agressions contre les agents.

«Imagine un gars en manque [de drogue] qui se retrouve dans un pavillon où il y a de la place pour 140 personnes, mais où il y en a 200... Les gens finissent par se tomber sur les nerfs», souligne M. Thibault.

Menaces, violence et drones

Dans les pénitenciers, la drogue est une denrée prisée et lucrative. Les détenus tentent par tous les moyens d'en faire entrer, certains par la force ou les menaces, d'autres grâce à la technologie.

Ainsi, des condamnés plus faibles sont contraints de demander à des membres de leurs familles de leur apporter du «stock» lorsqu'ils les visitent pour ensuite le donner à un plus fort.

D'autres utilisent maintenant des drones pour se faire livrer des substances illicites directement dans la cour. Les agents retrouvent aussi des flèches et des balles lancées de l'autre côté de la clôture.

«Avec l'augmentation du nombre de détenus et les diminutions de budgets, on n'arrive pas à tout voir», dit le président du syndicat, qui réclame plus d'agents, de l'équipement moderne et plus de chiens pisteurs pour contrôler ce qu'il estime être l'un des principaux problèmes du système carcéral.

Prêts à tout

Entre-temps, les centaines de toxicomanes privés de leur liberté sont prêts à beaucoup pour mettre la main sur l'objet de leur obsession, qui coûte encore plus cher entre les murs que dans la rue.

«Ceux qui ont de l'argent peuvent faire des versements dans des comptes de banque», indique Éric Thibault. Les plus pauvres payent comme ils peuvent, dit-il, avec la cantine, en travaillant pour les trafiquants ou par des relations sexuelles.

Plusieurs détenus se mettent physiquement en danger pour continuer à consommer. Selon une étude menée dans un établissement carcéral de Colombie-Britannique citée par l'ASRSQ, 82% des détenues qui s'injectaient des drogues derrière les barreaux partageaient des aiguilles.

Et bien souvent, notent les experts, c'est justement en raison de leur dépendance que plusieurs toxicomanes se retrouvent en prison.

«Plusieurs souffrent d'une toxicomanie envahissante qui a un lien avec leur délit», explique Patrick Altimas, directeur général de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ).

Pensons ici à des peines pour trafic ou possession de drogue, mais aussi à ceux qui volent afin d'avoir assez d'argent pour acheter la drogue dont ils ont absolument besoin.

Sous-scolarisés

«La clientèle qui se retrouve en prison est assez démunie. Elle a un passé marqué par la désorganisation et un haut taux d'échec scolaire, dit M. Altimas. Ce sont ces facteurs de pauvreté qui amènent [les détenus] où ils sont.»

D'ailleurs, toujours selon les chiffres du Service correctionnel du Canada, 53% des détenus incarcérés au Québec n'ont pas terminé leur secondaire; 14% n'ont qu'une sixième année.

Dans une province où le programme fédéral d'éducation en milieu carcéral est le moins performant, comme le révélait Radio-Canada au printemps 2013, les détenus ont toute une pente à remonter lorsque vient le moment de la réinsertion.

«C'est des gens qui ont des besoins énormes pour reprendre leur place dans la société. Il y a des efforts qui sont faits, mais pas suffisamment dans la prévention», déplore M. Altimas.

- Avec la collaboration de William Leclerc