Adolescentes séquestrées dans des sous-sols. Inceste. Enfants affamés ou battus à la ceinture. Familles forcées à mendier ou à remettre leur argent au rabbin Schlomo Helbrans.

De nouvelles allégations sur les enfants de Lev Tahor ont fait surface hier après-midi, avec la levée des scellés sur divers mandats légaux lancés contre la secte juive ultra-orthodoxe.

Ces documents ont permis à la Sûreté du Québec de fouiller des domiciles de Sainte-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides, et de Chatham-Kent, en Ontario, le 29 janvier dernier. Deux mois plus tôt, le groupe avait déménagé d'une province à l'autre pour échapper à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) québécoise. La SQ soupçonne des crimes dont elle refuse de révéler la nature.

Une enquête au long cours

Même s'ils sont très censurés, les documents révèlent que la SQ enquête sur le groupe depuis près de deux ans déjà, soit depuis avril 2012. À l'époque, elle reçoit une dénonciation au sujet de situations datant de «plusieurs années». Des filles de 14 ou 15 ans sont mariées à des hommes beaucoup plus vieux, qui leur font aussitôt des enfants, dit le document. Leurs cadettes de 13 ou 14 ans sont enfermées dans des sous-sols parce qu'elles sont désobéissantes. Les adeptes sont médicamentés de force pour être mieux manipulés. Et les familles doivent remettre à la communauté l'aide sociale reçue du gouvernement.

Deux semaines plus tard, le corps de police apprend que la DPJ des Laurentides suit une ado de 14 ans qui ne veut pas retourner dans la communauté, «car elle est promise à un homme et a très peur», précisent les nouveaux documents judiciaires. Quelques jours plus tard, le Tribunal de la jeunesse la retire de sa communauté, parce qu'elle dit être battue à coups de ceinture par son père et à coups de cintre par la femme de Mayer Rosner, bras droit du leader.

Impossible de savoir ce qui s'est passé au printemps et à l'été 2012, puisque ces détails ont été censurés par la SQ et la DPJ. On apprend quand même qu'en octobre 2012, un courriel affirme que des enfants de la communauté sont «sous-alimentés» et ont «une santé mentale dérangée».

Le mois suivant, en novembre, la DPJ fait valider par l'hôpital de Sainte-Agathe une «liste de noms de jeunes filles (mineures) ayant eu des enfants avec des hommes majeurs», disent les mandats.

En décembre, une fille de 17 ans est transférée en ambulance à l'Hôpital de Montréal pour enfants. «Elle aurait dit au personnel infirmier avoir été battue par son frère, abusée sexuellement par son père et être mariée depuis l'âge de 15 ans à un homme de 30 ans», affirment encore les documents judiciaires. L'adolescente est apparemment en psychose, donc difficile à interroger, mais des photos de ses blessures sont prises et un dossier de voies de fait est ouvert.

Enfants éparpillés

En janvier 2013, un père non identifié dit à la SQ que ses enfants sont éparpillés dans diverses familles, sont forcés d'avaler de l'eau avec de la poudre verte et peut-être contraints d'avaler des «pilules». Il avoue avoir lui-même marié une fille de 14 ans.

Un autre témoin a pour sa part raconté à la police qu'une femme de la communauté changeait les enfants de famille lorsqu'ils s'absentaient de l'école ou que leur maison était en désordre.

Un autre membre défroqué dit «avoir été battu avec des bâtons, des pieds-de-biche, des fouets, des ceintures et des mains». Il «était forcé de prendre des pilules trois fois par jour».

Un autre homme dit avoir été placé dans une famille inconnue et avoir été forcé à mendier parce qu'il n'avait rien à manger. Tous les membres de sa famille d'origine ont dû se raser les cheveux, dit-il. Il aurait vu une personne de la communauté en frapper une autre au visage, car elle refusait de porter les épaisseurs de vêtements noirs parce que réservés aux femmes.

En avril et mai 2013, la SQ fait plusieurs démarches gardées secrètes. À cette époque, la DPJ retient un signalement pour mauvais traitements.

Le 6 août 2013, le directeur de la DPJ des Laurentides, Denis Baraby, se rend lui-même dans la communauté pour visiter 42 maisons avec des infirmières. Il doit parlementer plus d'une heure avant que les portes s'ouvrent. Pendant ce temps, disent les documents dévoilés hier, «il y avait beaucoup de va-et-vient et un homme allait de maison en maison avec un sac de papier dans les mains».

Dans l'une des demeures, il y avait seulement six enfants alors qu'il aurait dû y en avoir neuf. Selon la SQ, «les conditions de salubrité étaient pitoyables et il n'y avait aucun document légal afin de les identifier». Les jeunes ont donc été placés en famille d'accueil.

Le problème dans la communauté se révèle si grave qu'en septembre 2013, la DPJ détache à temps plein une équipe d'intervention de quatre personnes.

«Aucune collaboration»

Depuis leur fuite, les gens de Lev Tahor jurent avoir toujours collaboré avec la DPJ. L'organisme lui-même a toujours affirmé qu'il comptait maintenir les enfants dans leurs familles. Mais les mandats révèlent maintenant que les intervenants n'ont obtenu «aucune réponse» des familles et «aucune collaboration» de la communauté, et qu'ils ont donc tenté d'obtenir les mandats d'entrer et d'amener les enfants.

Le 1er octobre 2013, un juge accorde un «mandat général». Et le 18 novembre, la DPJ débarque pour distribuer des assignations pour une audience au Tribunal de la jeunesse de Saint-Jérôme le lendemain.

Mais ses clients ont déjà fui. Le 18 novembre, la SQ découvre que trois autobus nolisés ont quitté Sainte-Agathe-des-Monts à 1 heure du matin et mis 14 heures à atteindre Chatham-Kent. Le même jour, la DPJ fouille des maisons grâce à cinq mandats. Ses découvertes ont été censurées dans les documents.

Au lendemain de l'exode, l'un des fils du rabbin, Nachman Helbrans, se présente au palais de justice de Saint-Jérôme. Le juge ordonne aux parents de revenir devant lui le surlendemain avec leurs enfants. Ils viennent, mais seuls, puis cessent de se présenter.

Les chauffeurs d'autobus révèlent peu après avoir trouvé des croûtes de pain, sacs de pop-corn, oeufs et sacs Ziploc (pleins d'urine, selon leurs témoignages). Les mandats indiquent aussi que leurs passagers «sont arrivés à la hauteur d'un champ avec des animaux», sans préciser ce qui s'y est passé.

Perquisition

Tout ce qui s'est produit en Ontario, en novembre, décembre et janvier derniers, a été censuré. Les mandats rendus publics hier ont permis à la SQ de perquisitionner dans des maisons en Ontario et à Sainte-Agathe. La police cherchait apparemment des ordinateurs et des appareils électroniques. Selon des membres de Lev Tahor, les enquêteurs espèrent prouver que des mineurs ont marié des adultes de la communauté, ce qui représente une forme d'agression sexuelle au Canada.

La fouille a eu lieu quelques jours avant que le tribunal ontarien n'ordonne le rapatriement au Québec de 13 enfants de Lev Tahor, afin qu'ils soient placés en familles d'accueil tel que décidé en Cour du Québec deux mois plus tôt.

Les leaders de Lev Tahor ont toujours nié avoir marié des mineurs et maltraité des enfants.

Une campagne de salissage, selon des membres de lev tahor

Des membres de la secte Lev Tahor rejettent de nouveau les allégations voulant que des enfants aient été maltraités dans leur communauté. Selon Nachman Helbrans, le fils du leader de la secte, le rabbin Shlomo Helbrans, tout ceci n'est qu'une campagne de salissage menée contre eux par d'anciens membres de la communauté qui l'ont quittée depuis.

«Rien ne se fait par recours à la force au sein de notre communauté. Rien. Rien. Si tout ceci était sérieux, comment se fait-il que [les enquêteurs] ne sont pas venus chez moi ne serait-ce qu'une seule fois, depuis avril 2012?», a dit M. Helbrans au Toronto Star, hier. Yakev Weingarten, lui aussi membre de la secte ultra-orthodoxe, qui vit toujours à Sainte-Agathe-des-Monts, a eu la même réaction.

«Après autant de mois d'enquête, c'est toujours la même chose. Un ennemi de la communauté veut forcer sa conjointe à quitter la communauté, et parce qu'elle ne veut pas, il se venge de nous», a-t-il dit à La Presse. La Sûreté du Québec (SQ) et la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de la région des Laurentides ont refusé de commenter les plus récents développements de cette affaire

- Hugo Pilon-Larose