Deux femmes, deux destins tragiques. Nadia, 14 ans, torturée par son époux, et Moqtada,12 ans, mariée à un déficient intellectuel. Elles témoignent à visage découvert, un fait exceptionnel en Afghanistan. Elles prennent ce risque parce qu'elles n'en peuvent plus de vivre dans un refuge pour femmes battues. Elles sont prêtes à tout pour quitter l'Afghanistan... et espèrent que leur appel à l'aide sera entendu.

Nadia a été mariée pendant cinq jours avant de prendre la fuite. C'était une question de vie ou de mort.

La première fois qu'elle a vu son mari, elle a eu peur. Il avait 35 ans et il était bâti comme un pan de mur. C'était un taliban. Nadia, elle, n'avait que 14 ans.

Dès le premier jour, il s'est jeté sur elle. Il l'a violée et battue en la frappant avec ses mains et ses pieds. Il hurlait. «Pourquoi ton père m'a pris autant d'argent?»

Son père l'a vendue à un homme qui a failli la tuer à mains nues.

Nadia est née dans un village du Waziristan dans le sud de l'Afghanistan, une région pachtoune ultra conservatrice située au coeur de la zone tribale. Elle n'est jamais allée à l'école. Elle a grandi au milieu de ses 16 frères et soeurs, de sa mère, de son père qui tenait une librairie et de la deuxième femme de celui-ci.

Son père était sévère. Les femmes, croyait-il, devaient rester à la maison, se marier et avoir des enfants. Leur destin était tracé d'avance.

À 14 ans, son père lui a dit qu'il l'avait fiancée. Nadia était catastrophée. Elle n'avait jamais vu son futur mari. Il venait d'un autre village situé dans la province de Zabul, loin de chez elle. Elle savait que c'était un taliban.

Elle n'a vu son mari que deux jours après son mariage. Dans son village, les hommes et les femmes fêtent le mariage dans des pièces séparées. Ils dansent, chantent et mangent, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Le mollah unit les époux sans qu'ils se voient. Au Waziristan, la division des sexes est extrême.

Son mari ne lui a jamais dit un mot gentil. Il la frappait sans relâche, son cerveau embrumé par la drogue. Il perdait le contrôle et les coups devenaient de plus en plus violents, de plus en plus hystériques.

La deuxième nuit, il l'a jetée par terre, il a pris un couteau et il a coupé une de ses oreilles. Les jours suivants, il a continué de la torturer. Elle criait, mais aucun son ne sortait de sa bouche, car il l'avait bâillonnée.

Elle restait étendue sur le plancher. Il l'abandonnait, inerte, baignant dans son sang, puis il revenait et s'acharnait de nouveau sur elle. Il sortait son couteau et continuait de la charcuter: l'autre oreille, le nez. Le sang, les blessures terribles, les cris étouffés par le bâillon.

«Je vais te tuer!» C'est ce qu'il ne cessait de lui répéter.

«Je ne pensais à rien, raconte Nadia, j'étais perdue.»

Elle parle peu et ses yeux se remplissent de larmes lorsqu'elle se rappelle ces nuits cauchemardesques, où son géant de mari la torturait.

Elle était loin de son village, seule avec cet homme que la drogue rendait fou.

«La cinquième nuit», dit Nadia. Puis elle se tait, ferme les yeux et prend une grande respiration. «La cinquième nuit a été terrible.»

Son mari s'est penché sur elle. Il a pris une pierre et il l'a frappée de toutes ses forces au visage. Il a cassé ses dents. Puis il est parti, croyant qu'elle était morte.

Nadia est restée immobile pendant un long moment. «Je n'avais qu'une idée en tête, réussir à me lever pour aller chercher de l'aide.»

Elle est sortie de la maison, titubante. Des voisins l'ont vue. Ils l'ont recueillie, puis ils ont alerté la police. Quand son mari est revenu, les policiers ont tenté de l'arrêter. Il a fui. Il court toujours.

Elle est restée deux mois à l'hôpital de Zabul. Des soldats de la force internationale ont eu vent de son histoire. Ils l'ont conduite dans un hôpital de Kaboul, où elle a passé 10 mois. Son père l'a visitée une seule fois pendant qu'elle était à Kaboul. Il n'avait que des reproches à lui faire.

«Il m'a demandé pourquoi j'avais fui mon mari.» Il avait honte. Son honneur avait été bafoué.

Aucun autre membre de sa famille n'est venu la voir.

À sa sortie de l'hôpital, il y a six ans, elle est partie vivre dans un refuge. Elle y est toujours.

Nadia a subi une dizaine d'opérations. Chaque fois, l'expérience était douloureuse. Les médecins devaient «ouvrir» son visage pour essayer de réparer les dégâts. Aujourd'hui, elle a de la difficulté à respirer, même après de multiples opérations.

L'avenir? Nadia secoue la tête. «Je voudrais une intervention de chirurgie plastique, mais c'est trop cher, car je dois passer six mois en Inde. J'aimerais tellement avoir une vie normale avec un mari et des enfants, mais pas en Afghanistan.»

Elle ne veut pas retourner dans son village.

«Mon père va me marier de force. Et si mon mari me retrouve, je serai obligée de vivre avec lui.»

Alors, elle préfère le refuge. Elle a demandé le divorce, mais son mari est introuvable. C'est la cour qui va trancher. Si elle obtient gain de cause, elle sera libre, mais que fera-t-elle de cette liberté?

Divorcée, mais pas encore libre

Moqtada, elle, a obtenu son divorce après une longue lutte. Je vous ai déjà raconté son histoire en 2011. À l'époque, je l'avais appelée Farida. Elle avait 20 ans. Elle était timide, à peine sortie de l'adolescence. Aujourd'hui, elle a pris de l'assurance et même si elle a peur, elle ne veut plus se cacher derrière l'anonymat. Elle veut que le monde puisse mettre un nom et un visage sur son histoire.

Moqtada avait 12 ans quand son père l'a mariée à un homme de 35 ans, un déficient intellectuel sourd et muet. Elle avait peur de son mari et sa belle-mère la tyrannisait. Quand Moqtada se promenait dans le village, les gens la montraient du doigt et disaient: «Tiens, la femme du fou.»

Après deux ans de calvaire, Moqtada a décidé de fuir. Pendant trois jours, en plein hiver, elle a marché, fuyant son mari et les hommes de sa tribu partis à sa recherche. Des policiers l'ont vue en train de mendier. Ils ont écouté son histoire. Ils connaissaient son village et ils savaient que les hommes la tueraient sans hésiter pour venger leur honneur, car une femme n'a pas le droit de fuir le domicile conjugal, même si c'est pour sauver sa peau. Dans son village pachtoun logé au coeur de la très conservatrice province de Khost, l'honneur passe avant tout.

Les policiers l'ont envoyée dans un refuge pour femmes battues à Kaboul, où elle vit depuis neuf ans. La moitié de sa vie s'est déroulée entre les quatre murs d'un refuge.

La Cour suprême lui a accordé son divorce, même si sa tribu a exercé d'énormes pressions sur le gouvernement Karzaï pour qu'il bloque les procédures et lui remette Moqtada.

Son divorce ne lui a pas donné la liberté tant espérée. Si elle quitte le refuge, sa tribu, qui la cherche toujours, va la retrouver et la tuer au nom de l'honneur. Il lui reste l'exil, mais elle n'a pas d'argent. Elle veut vivre ailleurs, étudier et devenir avocate. «Pour aider les femmes», dit-elle.

Elle est une des plus anciennes du refuge. Une seule y vit depuis plus longtemps. Moqtada et elle partagent la même chambre. Elle avait 6 ans quand son père l'a mariée. La police est intervenue. Elle vit dans le refuge depuis neuf ans elle aussi. Elle a aujourd'hui 15 ans.

Moqtada, elle, ne connaît pas vraiment son âge. «Probablement 23 ans», dit-elle. Elle refuse de se marier. «Jamais! jure-t-elle. Je n'aime pas les hommes.» Et elle veut quitter l'Afghanistan. À tout prix. «Si quelqu'un m'aide, je pars, peu importe le pays.» Elle n'en peut plus de vivre dans un refuge, même si c'est ce qui lui a sauvé la vie.

Des refuges essentiels

Mary Akrami, la directrice du refuge où vivent Nadia et Moqtada, se débat continuellement avec des problèmes d'argent. «Le gouvernement afghan ne nous donne rien. Ce sont les organismes internationaux, surtout l'ONU, qui nous soutiennent», dit-elle. Environ 300 femmes vivent dans les 22 refuges éparpillés sur le territoire afghan. Ils tirent tous le diable par la queue.

Plusieurs s'occupent de cas compliqués : des femmes qui vivent dans le refuge depuis des années, certaines avec leurs enfants, d'autres qui souffrent de problèmes de santé mentale. Pourtant, jamais les refuges n'ont été aussi importants.

«Les hommes sont de plus en plus violents, explique Mary Akrami. Avant, ils battaient et violaient leur femme. Aujourd'hui, certains les torturent et coupent des morceaux de leur corps, parfois devant leurs enfants. Difficile d'imaginer une telle violence. Les hommes savent qu'ils ne se feront probablement pas arrêter, alors ils vont de plus en plus loin. C'est très profond.»

Justice inégale

En 2009, le président Hamid Karzaï a adopté un décret qui criminalise certaines traditions, comme les mariages des filles âgées de moins de 16 ans. Mais un an plus tard, la Cour suprême a statué que les femmes qui fuyaient le domicile conjugal pourraient être accusées d'adultère ou de prostitution, des crimes passibles de 15 ans de prison.

La plupart des cas de violence conjugale échappent à la justice officielle. Les Loya Jirga ou les chouras, qui regroupent les hommes d'un ou de plusieurs villages, tranchent les litiges en suivant les coutumes tribales. Dans certains cas, ils ont statué que les victimes de viol devaient marier leur agresseur. Dans d'autres, ils ont remis la victime aux hommes de sa famille pour qu'ils la tuent. Car il faut bien que l'honneur soit lavé.

Source: International Crisis Group