Pour sa thèse de doctorat en criminologie, la chercheuse Madeline Lamboley a rencontré une douzaine de femmes victimes de mariages forcés. Ces femmes étaient toutes des résidantes d'autres pays qu'on a mariées, contre leur volonté, à des citoyens canadiens. Il y a cinq ans, quand elle a commencé à travailler le sujet, il y avait un «déni» face à ce problème, dit la chercheuse. Aujourd'hui, les milieux sont beaucoup plus sensibles à la problématique du mariage forcé... mais les solutions ne sont pas toujours au rendez-vous.

Q Qui sont ces victimes de mariages forcés?

R Une douzaine de femmes, certaines originaire de l'Asie du Sud-Est, d'autres de pays du Maghreb, qui ont été mariées de force à des citoyens canadiens qui étaient retournés se chercher une épouse dans leur pays d'origine.

Q Comment ces mariages forcés se sont-ils déroulés?

R Les familles arrivent au pays d'origine pour quatre ou cinq semaines. Et tout est fait dans ce court laps de temps: trouver la jeune fille, faire les présentations, célébrer le mariage et retourner au Canada pour faire les papiers. Parce qu'elles veulent procéder vite, les deux familles escamotent souvent toutes les précautions qu'elles auraient prises en temps normal. Dans ces circonstances, le consentement n'est plus libre et éclairé. Il y a parfois une seule rencontre entre les deux promis avant le mariage.

Q Que se passe-t-il ensuite?

R Leur nuit de noces est un viol. Et par la suite, les nouvelles épouses vivent beaucoup de contrôle de leur belle-famille. Elles deviennent pratiquement des domestiques. On leur enlève toute estime d'elles-mêmes. Elles n'ont aucune idée de ce qu'est une carte de crédit. Elles ne savent pas comment s'orienter dans la ville. C'est très difficile pour elles de s'échapper. La peur dans laquelle elles vivent suffit à les garder prisonnières.

Q Vivent-elles de la violence conjugale?

R Toutes n'ont pas vécu de violence physique, mais une des femmes m'a parlé de torture psychologique. Et l'escalade de cette violence est rapide. Au bout d'un mois, elles peuvent vivre des violences intenses. J'avais été frappée par le cas d'une jeune Indienne, mariée de force. Elle arrive chez son mari, en plein décalage horaire, elle se retrouve dans un pays qu'elle ne connaît pas et on lui dit: fais le ménage.

Q Les autorités canadiennes sont-elles équipées pour faire face à ce problème?

R Il y a cinq ans, quand j'ai commencé à travailler le sujet, il y avait un déni. Aujourd'hui, on commence à être sensibilisés. Le premier défi, c'est d'identifier les victimes. Le second, c'est d'évaluer le degré de dangerosité auquel elles font face. Il faudrait élaborer une grille de dépistage et en faire un outil national. Et le troisième défi, c'est la protection. Actuellement, tout ce qu'on peut offrir à ces femmes, c'est de l'hébergement à court terme. Si on n'est pas capable de leur offrir des alternatives d'hébergement, on les met encore plus en danger.