Après avoir vécu deux ans au sein du groupe Lev Tahor, Joseph a fui en pleine nuit. Appelé comme témoin en Cour du Québec, le 27 novembre, il a juré y avoir connu les pires tourments. L'interdit de publication qui entourait son récit vient d'être levé, mais son identité doit rester secrète pour le protéger. Voici sa version des faits.

C'était la nuit. Il faisait très noir sur la montagne de Sainte-Agathe-des-Monts. Les modestes maisons des gens de Lev Tahor étaient plongées dans le silence. Enfin, la route était libre pour Joseph, un ancien membre de la secte. Le seul, apparemment, à avoir fui en amenant sa femme avec lui.

« On s'est faufilés dans les buissons et on est montés à bord d'une voiture, qui nous attendait pour nous conduire à l'aéroport. Puis, on s'est envolés pour le Danemark », a raconté l'homme de 28 ans, lors de son passage à la Cour du Québec.

Sa fuite, Joseph l'avait planifiée pendant des mois, au cours d'incalculables nuits blanches, dit-il. Car il ne pouvait plus se tromper.

Trois mois plus tôt, à l'été 2011, le simple fait de partager quelques doutes avec sa toute jeune femme a failli ruiner sa vie. L'adolescente avait vite trahi ses confidences. Et le rabbin Schlomo Helbrans en furie avait sévi. Sous prétexte qu'il avait visiblement « un cobra dans le crâne » et un « trouble de la personnalité limite », Joseph a été forcé de suivre une pseudo thérapie avec d'autres membres récalcitrants. Sa femme enceinte a dû se cloîtrer deux semaines chez ses parents. Si Joseph n'avait pas prêté un serment solennel d'obéissance à la communauté, il aurait dû se résoudre au divorce.

Puis, à l'automne 2011, tout bascule à nouveau. Deux adolescentes israéliennes sont alors renvoyées dans leur pays par Immigration Canada, par crainte qu'on les marie de force à des hommes de Sainte-Agathe-des-Monts. À l'époque, tous les médias comparent le groupe à une secte. Joseph, qui parle anglais, est appelé à la rescousse par ses leaders qui veulent se défendre et lui demandent de se servir d'internet.

« Après être allé sur internet, j'ai bien dû dire à Helbrans que, d'après mes lectures, on était bel et bien une secte, mais que je pouvais tenter de prouver - à tort - qu'on n'en était pas une », relate-t-il.

Enfin lucide, Joseph prétend être vidé par sa thérapie. Il dort toute la journée. La nuit, il enseigne frénétiquement à sa femme tout ce qu'il a découvert au sujet des sectes. Enfin convaincu qu'elle ne le dénoncera plus, il lui propose à nouveau de s'enfuir. Elle accepte.

Peu après, le jeune homme frappe à la porte d'un autre rabbin de la région, qui lui propose de cacher ses effets personnels dans son école et de l'amener à l'aéroport au moment propice. Joseph profite de chaque visite au village pour lui apporter un petit paquet. Il achète un ordinateur. Se branche sur internet en secret. Et achète des billets pour son pays natal, le Danemark. « C'est ma famille qui avait envoyé l'argent, mais c'est ma femme qui a cliqué sur le bouton, je voulais être certain qu'on était dans le même bateau », a-t-il raconté au juge.

Aujourd'hui père de deux enfants, Joseph est revenu vivre à Montréal. Il dit avoir échappé aux menaces parce que son groupe savait qu'il  était parti avec un ordinateur plein de documents compromettants.  « Aujourd'hui, je   suis obligé d'aider, a-t-il dit au juge. J'ai vu que tous les gens qui ont quitté la communauté sont incapables de vivre une vie normale. »