Le Canada comptera un nouveau musée national en septembre 2014. Toujours en chantier, l'imposante structure qui domine la ville de Winnipeg a déjà réussi à soulever mille et une controverses. C'était sans doute inévitable de la part du seul musée du monde entièrement consacré à la sensibilisation et à l'éducation en matière de droits de l'homme. Tour guidé.

> Le rêve d'un homme

Le Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP) est né du rêve d'un homme. Chaque année, Israel Asper, magnat des médias et philan-thrope de Winnipeg, organisait des voyages d'élèves au musée de l'Holocauste à Washington. Un jour, il s'est dit que les élèves ne devraient pas avoir à quitter le pays pour se souvenir, et pour réfléchir aux droits de l'homme en général. Izzy Asper est mort quelques mois après avoir annoncé son projet, en 2003. Sa fille Gail a repris le flambeau. Le MCDP sera un musée d'idées, sans réelles collections. Les visiteurs y trouveront plutôt des témoignages filmés, des oeuvres visuelles, des expériences multimédias... et sans doute de quoi nourrir quelques controverses.

> L'Holocauste

Le MCDP consacrera une galerie entière à l'Holocauste... et un placard à balais à l'Holodomor, s'indigne le Congrès des Ukrainiens canadiens. L'organisme craint que le musée ne minimise cette famine meurtrière, provoquée par le régime soviétique de Staline. Mais l'institution se défend bien d'être un musée commémoratif. L'Holocauste sert plutôt de «point d'entrée» pour aborder les droits de la personne en général, explique une porte-parole, Maureen Fitzhenry. Le MCDP se penchera d'ailleurs sur les cinq génocides reconnus officiellement par le Canada: l'Holocauste, l'Holodomor, les génocides arménien et rwandais et le massacre de Srebrenica, en Bosnie.

> Pas de génocide autochtone

Déplacements forcés, pensionnats, effets pervers des changements climatiques sur les communautés: le MCDP fera une large place au traitement réservé aux peuples autochtones du Canada au fil des âges. Mais jamais il ne qualifiera ce traitement de génocide, comme le réclament de nombreux groupes amérindiens. «Nous sommes un musée, pas une commission des droits de la personne censée arbitrer ou prendre position. Nous sommes là pour présenter les faits; aux visiteurs de se faire leur propre opinion», dit Mme Fitzhenry. Cela dit, en tant qu'institution fédérale, le MCDP n'avait probablement pas le choix, car Ottawa n'est pas prêt à décrire comme un génocide - culturel ou autre - le traitement des autochtones du Canada.

> La fierté du Canada?

Le Musée sera «source de fierté» pour l'ensemble des Canadiens, selon le dépliant officiel. Vraiment? Le MCDP fera pourtant état des pensionnats indiens, de la taxe d'entrée imposée aux Chinois, de l'internement des Japonais durant la Seconde Guerre mondiale, de la déportation des Acadiens, du traitement des travailleurs agricoles migrants... Soucieux de ne pas présenter une image trop sombre du Canada, le conseil d'administration du Musée a réclamé en 2012 plus de «contenu positif canadien». Une demande qui a mal passé auprès de certains employés, qui ont raconté au réseau CBC que la direction refusait de faire mention des sables bitumineux. Or, le président du conseil d'administration, Eric Hughes, a des intérêts financiers dans le pétrole de l'Alberta...

> L'escalade des coûts

La construction d'un nouveau bâtiment ne serait pas complète sans une controverse sur l'escalade des coûts. Dans le projet initial, il y a 10 ans, le Musée devait être entièrement privé et coûter 100 millions de dollars. Il coûtera finalement 351 millions, et sera financé par le secteur privé, les gouvernements fédéral et provincial et la Ville de Winnipeg. Cela dit, on s'attend à ce que le MCDP - le premier musée national situé hors de la région de la capitale nationale - devienne un catalyseur du tourisme à Winnipeg et au Manitoba. On prévoit que le MCDP attirera 250 000 visiteurs par an et engendrera des retombées économiques brutes de 159 millions de dollars. Avec le retour du hockey professionnel et un aéroport tout neuf, la capitale manitobaine imagine déjà sa renaissance.

> Des chemins sinueux

D'ici peu, le MCDP représentera Winnipeg, aussi sûrement que le Stade olympique représente Montréal. Le bâtiment de pierres et de verre est l'oeuvre de l'architecte américain Antoine Predock. Sa façade représente les ailes repliées d'une colombe. Le hall d'entrée est sombre, oppressant. Les visiteurs parcourront un kilomètre de passerelles entremêlées. «Le chemin vers les droits de la personne est très sinueux, et c'est ce que voulait refléter la géométrie de l'immeuble», explique Mme Fitzhenry. Après avoir (re)découvert les horreurs de l'Holocauste, les visiteurs émergeront dans un jardin inondé de lumière naturelle. Ils termineront leur visite dans la tour de l'Espoir. «Certains jours, ce sera tellement illuminé là-haut que vous aurez besoin de lunettes de soleil!»

> La ville de toutes les luttes

Quand les militants du groupe Idle No More ont manifesté devant le MCDP, les autorités muséales... se sont réjouies. Rarement a-t-on vu une institution courir après les manifestants de cette façon. «Nous espérons que l'immeuble attirera des manifestations pacifiques, explique Mme Fitzhenry. Nous voulons devenir une référence nationale en ce qui concerne les droits de l'homme.» L'emplacement, en tout cas, semble bien choisi. C'est ici que les Métis, menés par Louis Riel, se sont rebellés. Au fil du temps, Winnipeg a connu bien des luttes: celle des travailleurs, avec la grève générale de 1919; celle des femmes, les premières à avoir obtenu le droit de vote au Canada; celles des francophones et des autochtones, deux communautés toujours très présentes à Winnipeg.