Le Canada aurait dû s'en tenir à la science et ne pas réclamer le pôle Nord comme territoire maritime, affirme un expert qui, jusqu'ici, soutenait le gouvernement Harper dans ce dossier.

«Le premier ministre a succombé à la tentation et il a transformé un processus fondé sur la science en frime démagogique pour plaire à ses électeurs», a lancé Michael Byers, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques globales et droit international, à l'Université de la Colombie-Britannique.

M. Byers est un expert des questions de souveraineté dans l'Arctique. Il réagissait à la nouvelle publiée par le Globe and Mail selon laquelle le premier ministre Harper avait rejeté le tracé d'une carte que le Canada doit déposer vendredi aux Nations unies.

La carte, dont une version a été publiée plus tôt cette semaine par La Presse Canadienne, était basée sur le travail scientifique effectué au cours des dernières années par le gouvernement canadien afin d'étayer ses prétentions territoriales dans l'océan Arctique.

Mais cette carte ne comprenait pas le pôle Nord.

Ce travail se base sur de nouvelles cartes sous-marines permettant de définir les limites des «plateaux continentaux». Ce sont des zones submergées de faible pente qui prolongent le continent, parfois jusqu'à des centaines de kilomètres des côtes.

La Convention internationale sur le droit de la mer y donne des droits aux pays limitrophes sur les ressources minières, gazières et pétrolières - mais pas sur la pêche.

Selon le Globe, le premier ministre n'était pas prêt à renoncer au pôle Nord, sachant que le Danemark et la Russie pourraient le réclamer.

Le Canada pourrait donc faire demain une «soumission partielle» à la Commission des Nations unies sur les limites des plateaux continentaux.

Mais selon M. Byers, le Canada est mal placé pour faire une telle démarche. «Les soumissions partielles aident dans les cas où les pays se montrent disposés à négocier les limites de leurs territoires maritimes, dit-il. Mais ce n'est pas le cas du Canada.»

Hier, le porte-parole du ministre des Affaires étrangères, John Baird, a fait savoir que la soumission sera une «étape importante» et que sa teneur sera connue seulement demain.

Cependant, une source gouvernementale a indiqué que «d'autres travaux cartographiques» étaient considérés.

Un Canada aux frontières floues

Toutes les principales nations arctiques ont négocié avec leurs voisines un traité pour régler d'avance les différends qui pourraient surgir dans l'Arctique au sujet du plateau continental. Toutes, sauf le Canada.

Les États-Unis et la Russie ont, d'un commun accord, tracé une ligne du détroit de Béring jusqu'au pôle Nord. En 2010, la Russie s'est également entendue avec la Norvège. Et cette dernière a aussi signé un traité avec le Danemark.

Le Canada? Sans même parler de son plateau continental, il a toujours des différends avec les États-Unis et le Danemark au sujet de sa zone économique exclusive, qui s'étend à seulement 200 milles marins des côtes.

Pourquoi ce retard? «C'est la question qu'on me pose toujours quand je vais à l'étranger, dit M. Byers. Les politiciens canadiens ont toujours aimé utiliser politiquement le thème de la souveraineté dans l'Arctique, et le Canada a utilisé une posture de confrontation par le passé.»

Pourtant, souligne M. Byers, pendant «trois ou quatre ans», le gouvernement Harper a «complètement épousé» le processus des Nations unies.

Tout a changé hier, dit-il. «Je veux être très clair: personne hors du Canada ne va prendre ceci au sérieux. Les Russes et les Danois vont rigoler, et la réputation scientifique et diplomatique du Canada va souffrir.»

De l'action dans l'Arctique

Forage

L'an dernier, la pétrolière Shell a fait une première tentative de forage en mer de Beaufort, au large de l'Alaska. Elle a battu en retraite devant les multiples difficultés techniques, y compris l'échouage du Kulluk, sa plateforme de forage flottante. Shell a englouti des centaines de millions dans l'affaire. Mais l'entreprise a annoncé le mois dernier qu'elle pourrait revenir à la charge l'an prochain.

Transit commercial

En septembre, un navire danois, le Nordic Orion, a franchi le passage du Nord-Ouest à travers l'archipel arctique canadien. C'était le premier transit de fret commercial par cette route. Le navire a transporté un chargement de charbon de Vancouver jusqu'en Finlande, un raccourci de 7000 km par rapport à d'autres routes.

Mine de fer

Le même mois, l'entreprise Baffinland a lancé officiellement son gigantesque projet de mine de fer de Mary River, au milieu de la Terre de Baffin. Le projet inclut une voie ferrée de 150 km vers un port qui sera desservi par le mythique passage. Baffinland est une coentreprise d'une filiale du géant indien Arcelor Mittal et d'un groupe d'investisseurs américains.

Une carte qui sera contestée... un jour

Les nouvelles limites maritimes prétendues du Canada chevauchent celles de la Russie et des États-Unis, selon les experts. Cependant, dans les deux cas, cela n'aurait pas de répercussion concrète avant plusieurs années. On en saura plus sur les prétentions définitives de la Russie et du Danemark au cours des prochains mois. C'est la première étape d'un très long processus, explique Michael Byers, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques globales et droit international, à l'Université de la Colombie-Britannique. « Il pourrait se passer quelques décennies avant que la Commission fasse ses recommandations, dit-il. Il y a plusieurs autres soumissions devant elle. Et elle est formée d'experts qui n'y travaillent pas à temps plein. » Quant aux États-Unis, qui n'ont pas ratifié la Convention internationale sur le droit de la mer, ils pourraient répondre au Canada par une note diplomatique.