De moins en moins de voyageurs étrangers sont interceptés à leur descente d'avion au Canada pour cause de documents de voyage ou d'immigration contrefaits ou non valides, voire parce qu'ils n'ont aucun papier en poche.

Le Canada profite-t-il de mesures mises en place dans d'autres pays, mais absentes ici?

Si, en 2005, on dénombrait 1640 cas de «ressortissants étrangers non munis des documents réglementaires» pincés par les douaniers canadiens, les statistiques n'ont cessé de décroître pour chuter à 588 cas en 2012.

En revanche, la somme des contraventions imposées aux transporteurs aériens concernés est variable, même si elle est globalement en décroissance. Elle a atteint un record de 1,7 million de dollars en 2008.

C'est ce qu'indiquent des données fournies à La Presse par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Pour l'Agence, cette «diminution significative» est le fruit notamment d'une «refonte des normes de rendement» imposée aux 45 compagnies aériennes ayant signé un protocole avec le Canada.

«Cette refonte visait à fournir plus d'incitatifs aux transporteurs aériens afin d'augmenter leur collaboration avec les agents de liaison de l'ASFC, améliorer leur performance dans la vérification des documents, la formation de leur personnel, la prévention de la fraude, et l'interdiction d'embarquement d'étrangers interdits de territoire», explique la porte-parole de l'ASFC, Maja Graham, dans un courriel à La Presse.

Néanmoins, Ottawa a refusé de dévoiler les noms des transporteurs fautifs et les statistiques qui les concernent.

En vertu du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, le transporteur aérien a en effet l'obligation de «s'assurer que ses passagers aient les documents réglementaires pour entrer au Canada».

Dans le cas contraire, la compagnie aérienne doit payer une contravention pouvant atteindre 3200$.

À la lecture des documents, on constate que dans la majorité des cas, aucune amende n'a été donnée. La réduction varie en effet de 25 à 100% selon l'efficacité du transporteur et ses «efforts» pour respecter le protocole évoqué plus haut, dit l'ASFC.

Effet des contrôles à la sortie

Pour l'expert en sécurité et ex-agent du SCRS Michel Juneau-Katsuya, ces chiffres sont une «bonne nouvelle» à première vue.

Mais selon lui, le Canada profite plutôt du fait que «plusieurs pays occidentaux ont un programme de contrôle à la sortie de leur territoire. Les passeports sont contrôlés [par des policiers ou douaniers]. Cela rend aussi la tâche des passeurs de plus en plus difficile».

Un autre document du renseignement de l'ASFC cible néanmoins deux aéroports plus perméables: la zone de transit de l'aéroport d'Athènes et l'aéroport de Venise, point d'embarquement d'un nombre croissant de passagers en situation irrégulière à leur arrivée au Canada.

Paradoxalement, le Canada n'effectue toujours pas de contrôle policier ou douanier à la sortie de son territoire, note Michel Juneau-Katsuya, «ce qui le ramène au niveau de certains pays du tiers-monde».

Une faiblesse qui empêche d'identifier, de tracer, et éventuellement de stopper des Canadiens qui décident de rejoindre des groupes terroristes à l'étranger ou des zones de conflit. Le cas le plus récent est celui d'Ali Mohamed Dirie qui faisait partie du groupe des «18 de Toronto». À peine libéré de prison, Dirie s'est volatilisé et est mort au combat en Syrie.

«Cette faille dans notre système n'est pas un cadeau que l'on fait aux autres pays», déplore Michel Juneau-Katsuya.

- Avec la collaboration de William Leclerc

Alerte aux imposteurs

La majorité des voyageurs interceptés à l'étranger depuis 2009 avec un passeport canadien obtenu frauduleusement sont des imposteurs. Cette «menace» inquiète Passeport Canada.

Un imposteur voyage avec un passeport délivré à l'origine à une personne qui lui ressemble.

«Pour réaliser ce type de fraude, lit-on dans un rapport confidentiel de renseignement de Passeport Canada, le titulaire légitime et l'imposteur doivent partager certaines similarités morphologiques et sociodémographiques, notamment l'âge, le genre et l'origine ethnique».

La tactique de l'imposture permet d'avoir en poche un passeport qui n'a pas été altéré, donc espérer ne pas éveiller les soupçons des douaniers et des policiers.

De 2009 à 2012, sur 918 cas étudiés par Passeport Canada, 56% étaient des impostures. De ce nombre, 66% concernaient des passeports valides et non déclarés volés ou perdus.

De plus, les deux tiers des voyageurs détenant un passeport frauduleux sont des ressortissants du même pays, dont le nom a été censuré dans le document fourni à La Presse.

Au moins dans la moitié des cas, Passeport Canada soupçonne une complicité entre l'imposteur et le détenteur légitime, ou en a acquis la preuve.

Est-ce parce que les passeports sont plus difficiles à falsifier, «avec des caractéristiques de sécurité de plus en plus robustes», que les trafiquants et clandestins doivent se tourner vers l'imposture?

Les analystes de Passeport Canada en doutent encore, puisque 2012 a connu une tendance inverse, avec plus de cas d'altération que de «fraude d'identité».