Robert Turcotte en a vu, des clients repartir au volant de leur voiture après des soirées bien arrosées, depuis qu'il a acheté son bar, il y a 30 ans, à Saint-Éphrem-de-Beauce.

« Dans le temps, un gars pouvait boire trois ou quatre grosses bières, et il repartait avec son auto quand même. On a été chanceux... », laisse tomber le sexagénaire beauceron.

Si bien qu'un jour, il a décidé de raccompagner lui-même ses clients. « J'aime mieux savoir [le gars] en vie chez lui que de découvrir en lisant le journal le lendemain qu'il a pris le clos et qu'il est mort », raconte-t-il.

Le propriétaire du bar l'Exit 28 offre ce service personnalisé depuis une dizaine d'années. Il a déjà fait 14 raccompagnements en un seul week-end. C'est sa façon de remercier ses clients de venir boire de la « grosse » dans son établissement.

La prévention, une priorité

Ce genre d'initiative fait partie d'un « changement de mentalité » qui s'opère actuellement en Beauce, souligne le coordonnateur de la Table de concertation Beauce-Etchemins pour la prévention de l'alcool au volant, Simon Bernard.

La mauvaise réputation des Beaucerons qui conduisent avec une bière entre les jambes ne date pas d'hier. Mais elle tient de plus en plus du mythe.

Les plus récentes statistiques de la SAAQ illustrent bien ce « changement de mentalité ». Entre 1992 et 1996, pas moins de 45,6 % des conducteurs qui ont péri dans la région de Beauce-Etchemins présentaient un taux d'alcool dans le sang supérieur à la limite permise. Entre 2007 et 2011, le taux a baissé d'environ 10 % pour rejoindre la moyenne provinciale.

Que s'est-il passé ? Toutes les institutions de la région (police, commission scolaire, centres de santé et de services sociaux, etc.) ont fait de la prévention de l'alcool au volant une priorité. Elles se sont mises à faire de la sensibilisation partout : bars, festivals, fêtes agricoles et même jusque dans les vestiaires dans les arénas.

« Il fallait convaincre les propriétaires de ligues de garage de nommer un conducteur désigné dans chaque équipe. Les gérants d'aréna ont aussi interdit aux joueurs d'apporter de l'alcool dans [les vestiaires] », indique M. Bernard.

Une série de publicités qui ciblent le portefeuille des conducteurs a été produite. Imprimée dans l'agenda scolaire de tous les cégépiens de la région, l'une d'elles dresse le portrait des conséquences économiques auxquelles fait face un jeune conducteur épinglé une première fois pendant qu'il conduit avec les facultés affaiblies.

Cette infraction finira par lui coûter 6645 $ (coût englobant la saisie du véhicule, une amende, l'augmentation de son assurance auto, etc.), selon les calculs de la Table de concertation.

De jeunes téméraires

Malgré tous ces efforts, de jeunes Beaucerons ne comprennent toujours pas le message.

Une semaine avant leur bal de fin d'études secondaires, Caroline Fortier et sa meilleure amie, Nadia Pruneau, sont mortes dans une embardée mortelle à Sainte-Aurélie, non loin de leur village, Saint-Prosper. Elles avaient respectivement 17 et 18 ans.

Le conducteur de la voiture, Tommy Lacasse, était soûl au volant. Les filles le connaissaient depuis l'école primaire. Ils avaient le même âge.

C'était le 17 juin 2011. C'était l'anniversaire de Nadia. Après leur quart de travail dans un magasin de vêtements, les filles se sont retrouvées avec des amis dans le stationnement de l'église de Saint-Prosper. La fin de la soirée est floue. Elles ont été vues en train de boire un verre dans un bar du coin.

À 6 h 30, les parents de Caroline ont remarqué que leur fille n'était pas rentrée dormir à la maison. Ils ne s'inquiétaient pas outre mesure. Leur adolescente était « responsable ». « Elle ne courait pas les bars », décrit la mère de Caroline, Diane Vachon.

Quinze minutes plus tard, deux policiers de la Sûreté du Québec sonnaient à leur porte. Il n'y avait plus rien à faire pour les adolescentes. Le jeune conducteur a plaidé coupable à deux accusations d'avoir causé la mort alors qu'il avait les facultés affaiblies par l'alcool.

Des parents en croisade

Depuis le drame, les parents de Caroline sont partis en croisade. Leur mission : convaincre les jeunes que d'embarquer avec un conducteur qui a bu est aussi dangereux que de conduire soûl soi-même.

« On avait toujours dit à notre fille : si tu bois, tu ne conduis pas. Mais on n'avait jamais pensé lui dire : n'embarque pas avec quelqu'un qui a bu. Dans ma tête, ça allait ensemble », raconte Mme Vachon sur un ton qui dissimule mal un sentiment de culpabilité.

Les mêmes policiers qui ont sonné à leur porte le matin de la tragédie les ont visité une deuxième fois plusieurs mois plus tard. Ils voulaient organiser une simulation d'accident mortel causé par l'alcool dans le stationnement de la polyvalente de Saint-Prosper. Ils ont demandé à Mme Vachon de raconter son histoire après la simulation, question de faire réfléchir les jeunes à la veille de leur bal de fin d'études.

Mme Vachon a décidé de secouer les jeunes. « Tes parents, ils vont préférer aller te chercher à 4 h du matin que de t'identifier à la morgue », leur a-t-elle lancé. Elle ne veut pas leur faire la morale. « Il faut arrêter de taper sur la tête des jeunes et tout leur interdire. Il faut leur dire qu'ils sont les boss de leur vie et qu'ils doivent prendre leurs responsabilités », explique celle qui a donné plusieurs autres conférences depuis.

La mère de famille a souligné le premier anniversaire de la mort de Caroline en organisant un service de raccompagnement... au bal de fin d'année de la polyvalente que fréquentait sa fille.