Au Québec, une très grande proportion des accidents graves survient sur une poignée de routes. Certains sont causés par l'alcool, d'autres par la vitesse excessive ou l'usage du cellulaire au volant. Mais parfois, le coupable, c'est la route elle-même. Parce qu'elle est mal configurée ou mal entretenue.

La Presse a pu géolocaliser pour la toute première fois les 15 000 accidents mortels ou graves survenus dans la province entre 2006 et 2011 grâce à des données de la Société d'assurance automobile du Québec obtenues en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Notre carte inédite lève le voile sur des centaines de «points chauds» jusque-là inconnus du grand public. Des lieux pourtant extrêmement dangereux où, pour toutes sortes de raisons, les accidents se multiplient année après année. Cyclistes, piétons, automobilistes et motocyclistes: personne n'y échappe.

Il y a la route 158 entre Saint-Esprit et Joliette. Un tronçon d'à peine 26 km qui compte à lui seul 13 morts et 36 blessés graves. Dans la région, on fait des détours pour ne pas y passer. «Les gens ont peur», raconte le chef des pompiers volontaires de la petite ville de Saint-Jacques-de-Montcalm, Christian Marchand. La municipalité se bat pour que le ministère des Transports du Québec (MTQ) modifie le tracé. Ce n'est pas dans les cartons.

Et la route 137 en Montérégie, la «tue-monde», où un coroner a recommandé qu'une courbe soit refaite après la mort d'une jeune femme de 19 ans dans un accident de voiture. Quatre ans plus tard, les parents de la jeune victime se demandent ce que le gouvernement attend pour corriger la courbe.

À Laval, l'échangeur entre les autoroutes 15 et 440 est l'endroit où sont survenus le plus d'accidents graves et mortels en six ans. Malgré ce sombre titre, le MTQ ne juge pas l'intersection dangereuse. Notre enquête a pourtant révélé que trois des quatre bretelles de l'échangeur où passent chaque jour 230 000 automobilistes ainsi que plusieurs zones d'entrecroisement ne répondent pas aux balises fixées par Québec.

À Saint-Jérôme, ville de 80 000 habitants qui compte un taux d'accidents graves impliquant des piétons aussi élevé que Montréal, nos experts ont découvert des intersections périlleuses et des aménagements qui sont conçus pour l'automobile avant tout.

Fous de la route

Au-delà des problèmes d'infrastructures, les conducteurs sont souvent les artisans de leur propre malheur, préviennent les policiers, le remorqueur, le surveillant routier et même le pilote automobile avec lesquels notre équipe a sillonné la province. 

Dans les Hautes-Laurentides, huit motocyclistes ont perdu la vie sur une route montagneuse longue de 60 km que plusieurs adeptes de moto utilisent comme un terrain de jeu. Vitesse excessive, manoeuvres téméraires, on voit de tout sur la route 364. Deux jeunes victimes y filaient à 190 km/h dans une zone de 70 lorsqu'elles sont mortes en 2008. «Il y en a beaucoup qui roulent comme des malades», raconte une résidante du secteur, Stéphanie Chouinard.

Des fous du volant, il y en a aussi en pleine ville. Une rue d'un quartier tranquille de Saint-Laurent se transforme certaines nuits en véritable piste de course. Elle a fait plusieurs morts, dont la fille et le mari de Lynda Bonneville. «Ça sert à quoi? À procurer un plaisir instantané? Quand on est touché par ça, on trouve ça d'autant plus absurde», déplore la mère de famille, qui a accepté courageusement de nous raconter son histoire.

À l'angle des rues Berri et Ontario, ce sont les cyclistes qui y goûtent. La piste cyclable la plus fréquentée de l'île passe par là. Des améliorations s'imposent, selon Vélo Québec. Mais les difficultés de cohabitation entre autos et vélos sont aussi responsables de plusieurs accidents.

Mais tout n'est pas noir. Ainsi, en quelques années à peine, l'un des coins de rue les plus dangereux de Montréal est devenu l'un des plus sécuritaires. Et la Beauce, région qui affichait l'un des pires bilans quant à l'alcool au volant, a réussi au terme de nombreux efforts à renverser la vapeur.

Ces initiatives locales, combinées aux campagnes de sensibilisation, à la surveillance routière et aux changements de mentalité des usagers, produisent des résultats tangibles. Depuis 2007, le nombre de morts sur les routes a chuté de 18 %. Cela, malgré la hausse continue du nombre de véhicules en circulation et de titulaires de permis de conduire.

Les routes tuent, mais il y a - enfin - un peu d'espoir.

Méthodologie

La Presse a géolocalisé les 15 000 accidents mortels ou ayant fait des blessés graves sur les routes du Québec entre 2006 et 2011 après avoir obtenu, grâce à la Loi sur l'accès à l'information, un fichier de la Société d'assurance automobile du Québec résumant les rapports des services de police pour chacun de ces accidents.

L'exercice a duré plusieurs mois et a fait l'objet de plusieurs contre-vérifications dans un souci d'assurer la plus grande précision possible. Certains accidents peuvent avoir été placés jusqu'à un kilomètre de leur lieu réel, surtout en dehors des villes et selon l'exactitude de chaque rapport.

Notre base de données nous a également permis de calculer les taux d'accidents graves dans les villes et sur toutes les routes de la province, ainsi que de dégager plusieurs statistiques sur les heures et le type d'accident.