Lucien Bouchard était premier ministre lorsqu'on lui a annoncé que Paul Desmarais souhaitait le voir.

Les deux hommes s'étaient déjà croisés quelques fois, notamment à l'époque où l'ancien politicien était ambassadeur à Paris. Mais depuis qu'il avait claqué la porte du Parti conservateur pour fonder le Bloc québécois, rien.

«Un jour, un ami commun m'a dit: «M. Desmarais aimerait te revoir.» On a pris un café ensemble. Je me rappelle qu'il m'avait parlé en termes favorables de la politique de rigueur budgétaire que je pratiquais. Ça ne m'avait pas surpris qu'il soit d'accord avec ça.»

Malgré des divergences politiques marquées, ils sont devenus amis. Suffisamment, en fait, pour que ce soit un membre de la famille Desmarais qui lui annonce hier matin la mort du patriarche.

«C'était un homme extrêmement sympathique, simple et accessible. Sa personnalité et ses qualités humaines dépassaient tout le reste», dit l'ancien chef du Parti québécois.

La première fois qu'il l'a vu, il était assis entre lui et René Lévesque à une table de banquet du Château Frontenac, pendant la visite du président américain Ronald Reagan à Québec. «On ne pouvait pas le rencontrer sans être frappé par sa personnalité, son entregent, son esprit. Il avait évidemment un pouvoir économique tout à fait considérable. À la mesure de ses réussites. Mais ce qui était puissant chez lui, en particulier, c'était l'humain, le pouvoir de la personnalité. Et d'ailleurs, çà a dû l'aider à réussir en affaires.»

Ensemble, ils discutaient de littérature, d'architecture, d'art et d'histoire, mais rarement de politique. «Ce n'est pas quelqu'un qui vous rencontrait et qui cherchait à parler politique. Évidemment, il s'intéressait au grand débat Québec souverain, Québec fédéraliste. Lui était manifestement fédéraliste.»

Cela n'a jamais créé de frictions. «Il n'était pas du genre à vous dire pour qui voter. On s'entendait sur 95% des sujets. Et surtout, on avait du plaisir ensemble. Je n'ai jamais pensé qu'il fallait rompre des liens avec des gens qui ne partagent pas nos opinions.»

Fort d'une relation privilégiée avec l'ex-premier ministre, Paul Desmarais a-t-il déjà tenté un jour de l'influencer? «Jamais, tranche-t-il. Il n'avait pas besoin d'essayer d'influencer les gouvernements. D'abord, il ne faisait pratiquement pas affaire avec eux.»

Sauf, dit-il, qu'il avait des idées qu'il appuyait sur une masse d'informations. «Il rencontrait tous les grands décideurs économiques du monde. Il n'y a presque pas de grands personnages de son époque qu'il n'a pas rencontrés. Il était fasciné par ces gens-là. Il apprenait beaucoup de choses d'eux, et eux de lui.»

Bien avant l'homme d'affaires, c'est toutefois de l'ami, du père de famille et du passionné d'art que Lucien Bouchard garde un souvenir marqué. «Parfois, je me demande pourquoi il n'a pas été architecte. Les belles maisons qu'il a faites, il a mis des années à les dessiner. Il n'y a rien qu'il aimait plus que de lire des plans.»

L'ancien politicien louange aussi la générosité de son ami. «Je me souviens avoir été assis autour d'une table avec lui et Jean Chrétien, alors qu'il était premier ministre du Canada et moi, du Québec. L'Orchestre Symphonique avait besoin d'argent. M. Desmarais s'était levé et avait dit: «Moi, je donne tant de millions. Vous, combien donnez-vous? "»