Le Vérificateur général du Québec (VGQ) mène depuis plusieurs mois une enquête portant «sur la gouvernance et la planification des grands projets d'infrastructures de transport en commun» et qui inclut, entre autres, un examen du projet de train de banlieue entre Montréal et Mascouche, le «Train de l'Est».

Ce projet de train de banlieue de 51 kilomètres devait coûter 300 millions et être mis en service en 2009. Il en coûtera plus du double (671 millions) et sera mis en service à la fin de 2014, avec cinq ans de retard sur l'échéancier initial.

Déjà documentés dans un rapport de 2011, produit à la demande d'Infrastructure Québec par PricewaterhouseCoopers, les dérapages du projet de l'Agence métropolitaine de transport (AMT) passeront ainsi sous la loupe du VGQ, comme l'a fait auparavant le projet de prolongement du métro vers Laval, réalisé aussi par l'AMT, en 2004.

En entrevue à La Presse vendredi dernier, le président de l'AMT, Nicolas Girard, a déclaré qu'«on ne peut pas refaire le passé», en parlant de la gestion du Train de l'Est sous la direction de son prédécesseur, M. Joël Gauthier.

«S'il y a eu des problèmes de planification ou de gestion dans ce projet, des lacunes, on les reconnaît. Le Vérificateur général du Québec fait une enquête là-dessus. Mais en bout de piste, on a retenu les leçons.»

Comme d'habitude, le Bureau du VGQ n'a pas voulu commenter hier les informations de La Presse, ni fournir d'indications sur la portée des travaux de vérification en cours, pas plus que sur l'identité des projets examinés. Des employés du VGQ travailleraient dans les locaux de l'AMT depuis le début de l'été dernier, selon les sources de La Presse.

Mêmes destins

Ce dernier épisode dans la saga tumultueuse du Train de l'Est rappelle la trajectoire semblable d'un autre grand projet d'infrastructures de transports en commun réalisé par l'AMT: le prolongement du métro vers Laval.

Depuis sa création, en 1996, l'Agence métropolitaine de transport (AMT) a présidé à la réalisation de deux grands projets d'infrastructures de transports collectifs dans la région de Montréal: le prolongement du métro vers Laval, entre 1998 et 2007, et l'aménagement du Train de l'Est, lancé en 2006 et toujours en cours de construction.

Les deux projets ont suivi essentiellement la même trajectoire: après avoir été lancés prématurément, sans véritable plan et sans que les coûts en aient été sérieusement estimés, ils ont été interrompus à mi-chemin et "redirigés", en raison d'une explosion de leurs coûts.

Dans les deux cas, le fiasco a coûté leur poste à Florence Junca-Adenot, présidente de l'AMT à l'époque du métro de Laval, et à Joël Gauthier, son successeur, qui a démissionné en janvier 2012 après le dépôt d'un rapport très critique sur la gestion du Train de l'Est.

Les deux projets ont aussi en commun d'avoir été pris en main et complétés par des comités aviseurs externes à l'AMT, à mi-parcours. Et dans les deux cas, le Vérificateur général du Québec (VGQ) a fini par s'y intéresser.

Similitudes

Dans son rapport de 2004 sur le prolongement du métro vers Laval, le VGQ affirmait que la décision du gouvernement de Lucien Bouchard «d'entreprendre ce projet à un coût de 179 millions de dollars ne s'appuie sur aucun document» qui en justifie la construction ou qui en analyse les coûts.

En 2011, une analyse de la firme Pricewater-houseCoopers produite à la demande d'Infrastructure Québec, affirmait la même chose à propos de l'annonce du projet du Train de l'Est, faite en 2006, à un coût de 300 millions. Cette estimation en reposait sur aucune base «réaliste».

Les deux rapports, produits à sept ans d'intervalle, soulignent que les deux projets étaient mal définis au départ et que les risques d'imprévus en cours de réalisation avaient été peu ou pas du tout identifiés pendant les phases préliminaires du projet.

«Il s'agit pourtant d'un point tournant au cours duquel le concept final du projet, son coût total et son échéancier détaillé sont confirmés, avant d'en entreprendre la réalisation», notait le VGQ dans son rapport sur le métro de Laval, en 2004.

Selon nos sources, l'enquête du VGQ porterait sur tout le processus de développement des projets, à partir des études de justification qui guident les décisions des élus, jusqu'aux mécanismes de suivi des dépenses, en cours de réalisation, en passant par les mécanismes d'estimation des coûts.

Aucune date n'a été avancée quant au dépôt des conclusions du Vérificateur.

Mêmes destins, mêmes critiques

L'AMT aurait répété les erreurs de la construction du métro de Laval.

1 Estimation initiale des coûts

«Nous avons constaté que la décision du gouvernement, le 7 octobre 1998, d'entreprendre ce projet à un coût de 179 millions ne s'appuie sur aucun document faisant ressortir la justification de ce prolongement, de ses coûts, de la localisation des stations et du choix du tracé. Des études réalisées bien avant l'autorisation gouvernementale ont démontré que ce coût n'était pas réaliste.» 

Extrait du rapport du VGQ sur le métro de Laval, 2004

«On peut constater l'augmentation du budget au fur et à mesure que le Projet progresse. Cette évolution reflète la nature très préliminaire des premières estimations de coûts et le manque de contingences nécessaires. Elle reflète aussi une annonce prématurée des coûts du Projet en 2006, moment où il n'était pas réaliste de raisonnablement estimer les coûts totaux du Projet étant donné les incertitudes qui entouraient sa réalisation.»

Extrait du rapport de PWC sur le Train de l'Est, 2011

2 Définition du projet

«Plusieurs éléments cruciaux de la phase d'avant-projet ont été escamotés. Il s'agit pourtant d'un point tournant au cours duquel le concept final du projet, son coût total et son échéancier détaillé sont confirmés avant d'en entreprendre la réalisation.»

Extrait du rapport du VGQ sur le métro de Laval, 2004

«La définition de l'envergure du Projet au niveau de l'avant-projet préliminaire n'était pas suffisamment précise et détaillée.»

Extrait du rapport de PWC sur le Train de l'Est, 2011

3 Évaluation des risques

«L'AMT n'a pas pris en considération l'ensemble des risques dès l'étape de planification et tout au cours du projet. Les coûts prévus étaient déraisonnables par rapport à l'envergure du projet; ils ont dû être ajustés à la hausse au fur et à mesure que les risques se sont concrétisés.»

Extrait du rapport du VGQ sur le métro de Laval, 2004

«Les risques sont présents dans tous les projets publics et privés, quel que soit leur mode de réalisation [...]. Dans le cadre du Projet, aucun exercice structuré d'évaluation des risques n'a été réalisé avant la préparation de ce dossier d'affaires final.»

Extrait du rapport de PWC sur le Train de l'Est, 2011

4 Contrôle des dépenses

«Les mécanismes en place à l'AMT ne permettent pas de disposer régulièrement d'un portrait fidèle de la situation à l'égard des prévisions de coûts et d'échéancier du projet, du degré d'avancement et des explications des écarts par rapport aux prévisions. Dans les faits, l'AMT n'a jamais utilisé un budget de référence réaliste.»

Extrait du rapport du VGQ sur le métro de Laval, 2004

«Les outils de suivi budgétaire du Projet développés à ce jour ne permettent pas de fixer en temps opportun les montants engagés et ceux déboursés.»

Extrait du rapport de PWC sur le Train de l'Est, 2011